Défis associés à la liberté d’expression et à l’accès à l’information en temps de pandémie : points de vue national et international

Temps de lecture : 6 minutes

Le 27 avril 2020, 9h15

(Available in English: Challenges Regarding Freedom of Expression and Access to Information During a Pandemic: International and Domestic Perspectives)

Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.

Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), article 19.

La véritable avalanche d’information qui est générée par des commentateurs ayant de bonnes ou de mauvaises intentions est un des corollaires de la pandémie de COVID-19. L’Organisation mondiale de la santé a qualifié l’abondance d’information tant inexacte qu’exacte sur la crise d’« infodémie » [en anglais seulement] qui pourrait nuire à la capacité du public de déterminer les sources d’information qui sont fiables.

En réponse à cette infodémie, de nombreuses voix se sont élevées pour demander aux États de légiférer contre la mésinformation et la désinformation. D’autres craignent toutefois qu’une telle approche compromette la liberté d’expression.

La présente Note de la Colline apporte des renseignements sur la liberté d’expression en droit international et sur les répercussions de la COVID-19 sur ce droit au Canada et ailleurs dans le monde.

1. La Liberté d’expression en droit international

Le droit à la liberté d’expression est un droit fondamental de la personne internationalement reconnu. Il inclut le droit d’exprimer et de transmettre de l’information, ainsi que celui d’en recevoir. Il est reconnu dans de nombreux instruments internationaux, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte), qui est juridiquement contraignant et qui a été ratifié par le Canada.

Cependant, le Pacte stipule que les gouvernements peuvent restreindre le droit à la liberté d’expression lorsque cela est nécessaire. De telles restrictions doivent être prévues par la loi et doivent être nécessaires pour protéger les droits d’autrui, la santé ou la moralité publiques, ou la sécurité nationale.

De plus, l’article 4 du Pacte permet aux États de déroger à certains droits, y compris celui à la liberté d’expression, « dans la stricte mesure où la situation l’exige » en cas d’urgence publique. Pour en savoir plus, voir la Note de la Colline intitulée Le respect des droits de la personne dans les situations d’urgence, préparée par la Bibliothèque du Parlement.

L’accès à l’information est reconnu comme étant inhérent au droit à la liberté d’expression. Selon une définition qui en a été donnée, il concerne « à la fois le droit général du public d’avoir accès aux informations d’intérêt général venant d’une diversité de sources et le droit des médias d’accéder aux informations qu’ils demandent ».

2. La COVID-19 et la liberté d’expression dans le monde

2.1. Désinformation et mésinformation

Depuis le début de la pandémie, l’information fausse ou inexacte est omniprésente [en anglais seulement], notamment sur des sujets comme la propagation du virus et le taux de mortalité. On trouve également des rapports inexacts sur les mesures prises par les autorités de la santé et les organismes gouvernementaux; de faux remèdes ou des méthodes erronées pour prévenir la propagation du virus et des théories sur des complots qui seraient à l’origine de la pandémie.

Par crainte que l’information de ce type ait des conséquences graves sur la santé, des observateurs internationaux de la liberté d’expression ont demandé [en anglais seulement] aux gouvernements de s’attaquer au problème de la désinformation en fournissant eux-mêmes des informations fiables.

Cependant, des groupes de défense des droits de la personne ont aussi exprimé des préoccupations par rapport aux atteintes graves à la liberté d’expression commises par certains gouvernements sous prétexte de combattre la mésinformation et la désinformation. Par le passé, des observateurs internationaux ont fait valoir que les interdictions mises en place pour combattre la mésinformation sont souvent incompatibles avec le droit international relatif aux restrictions à la liberté d’expression parce qu’elles ne sont ni nécessaires ni proportionnées pour protéger l’intérêt en jeu, dans ce cas-ci, la santé publique.

Dans le cadre de la pandémie de COVID-19, des gouvernements comme ceux de la Chine, de la Hongrie, de l’Iran et de la Thaïlande ont mis en place des mesures qui risquent de restreindre la liberté d’expression, y compris l’imposition de sanctions pénales pour la promotion de fausses informations, qui ciblent souvent les journalistes, les chercheurs et les défenseurs des droits de la personne. Des cas de détention de personnes ayant parlé de la pandémie sur les médias sociaux, de répression de manifestations contre le gouvernement et de censure sur Internet ont également été identifiés [en anglais seulement] comme étant problématiques.

2.2. Accès à l’information

L’accès à de l’information fiable est considéré comme essentiel à la gestion d’une pandémie mondiale. Dans ce contexte, il est important de diffuser des renseignements exacts sur les recommandations des autorités de la santé publique, sur la propagation du virus et sur les mesures prises par les organismes publics pour préserver le droit à la santé [en anglais seulement].

Étant donné que la pandémie exige qu’une grande partie de la population mondiale demeure en isolement, des groupes de défense des droits de la personne font valoir [en anglais seulement] que l’accès à Internet est essentiel à la protection du droit à l’accès à l’information. Des observateurs internationaux de la liberté d’expression ont insisté [en anglais seulement] sur le fait que les gouvernements devraient s’abstenir de bloquer l’accès à Internet et qu’il n’est pas nécessaire d’imposer de vastes restrictions pour préserver l’ordre public ou la sécurité nationale.

Human Rights Watch a aussi recommandé que l’information essentielle sur la COVID-19 soit accessible et disponible dans différentes langues et que l’on porte une attention spéciale aux citoyens peu ou pas alphabétisés.

2.3. Propos haineux

La pandémie de COVID-19 pourrait également entraîner la multiplication de propos haineux et d’actes de violence envers certains groupes. Le rapporteur spécial sur les questions relatives aux minorités des Nations Unies a exprimé des préoccupations suite à des rapports faisant état d’agressions physiques envers des personnes d’origine asiatique, de discours haineux blâmant les minorités pour la propagation du virus et de personnes demandant que les migrants se voient refuser l’accès aux services médicaux. Il a demandé à tous les États de prendre des « mesures fermes […] pour sauvegarder les droits humains des plus vulnérables et marginalisés ».

Cependant, l’imposition de sanctions criminelles générales en vue de freiner les propos haineux pourrait avoir un effet dissuasif sur d’autres formes d’expression. Article 19, une organisation non gouvernementale qui se consacre au droit à la liberté d’expression, a déconseillé [en anglais seulement] aux gouvernements de mettre en place des sanctions pénales très sévères pour interdire les propos haineux. Ces préoccupations recoupent celles du rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression des Nations Unies, qui a recommandé aux États, en 2019, de s’abstenir d’ériger en infraction pénale la diffusion de propos haineux, sauf dans les cas les plus graves (comme celui des appels à la haine nationale, raciale ou religieuse constitutifs d’une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence).

3. La situation au Canada

Au Canada, la liberté d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres médias, est protégée par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Cependant, diverses dispositions législatives restreignent la liberté d’expression, dont l’article 319 du Code criminel, qui interdit l’incitation publique à la haine contre un groupe donné (c.-à-d. les propos haineux). Pour en savoir plus, voir la Note de la Colline intitulée La liberté d’expression : un débat qui se poursuit, préparée par la Bibliothèque du Parlement.

Sous réserve de certaines exemptions, les Canadiens ont droit à l’accès aux documents relevant d’une institution fédérale (Loi sur l’accès à l’information), et ont droit à l’accès à leurs renseignements personnels détenus par une institution fédérale (Loi sur la protection des renseignements personnels). Les provinces et les territoires ont également des lois sur l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels qui garantissent ces droits.

Dans le contexte de la COVID-19, le Canada a pris des mesures pour freiner la mésinformation. Par exemple, le gouvernement fédéral verse des fonds à plusieurs organismes qui luttent contre la mésinformation sur la COVID-19 ainsi que le racisme et la stigmatisation qui en découlent. Le Bureau de la concurrence [en anglais seulement] a envoyé des avertissements à plusieurs entreprises pour avoir donné des indications fausses ou trompeuses sur l’efficacité de leurs produits pour prévenir ou traiter le virus. Par ailleurs, le gouvernement fédéral envisage [en anglais seulement] l’adoption d’une loi pour prévenir la mésinformation dangereuse, ce qui pourrait restreindre la liberté d’expression.

La pandémie a également réduit la capacité de tous les gouvernements au Canada à traiter les demandes d’accès à l’information [en anglais seulement], ce qui pourrait limiter les droits d’accès à l’information des Canadiens. En accordant la priorité aux services essentiels et en demandant à la majeure partie de son personnel de travailler à distance, les institutions gouvernementales éprouvent des difficultés à consigner l’information et à répondre aux demandes d’information.

Dans une déclaration, la commissaire à l’information du Canada a demandé aux institutions fédérales de donner des directives claires sur la gestion de l’information pendant la crise et de divulguer de façon proactive l’information fondamentale pour l’intérêt des Canadiens.

Ressources additionnelles

Amnistie internationale, Mesures prises face à la COVID-19 et obligations des États en matière de droits humains : observations préliminaires, 12 mars 2020.

Cara Zwibel, « Physical Distancing Shouldn’t Preclude Public Dissent », Association canadienne des libertés civiles, 3 avril 2020 [en anglais seulement].

Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, La liberté de la presse ne doit pas être fragilisée par les mesures de lutte contre la désinformation sur le COVID-19, 3 avril 2020.

Joel Simon, « COVID-19 is spawning a global press-freedom crackdown », Columbia Journalism Review, 25 mars 2020.

Katie Bresner, Understanding the Right to Freedom of Expression: An International Law Primer for Journalists, Journalists for Human Rights et International Human Rights Program, 2015.

Philip Mai et Anatoliy Gruzd, « We can inoculate ourselves against COVID-19 misinformation », Options politiques, 14 avril 2020 [en anglais seulement].

Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, COVID-19: Governments must promote and protect access to and free flow of information during pandemic, say international media freedom experts, 19 mars 2020 [en anglais seulement].

Alexis De Lancer et coll., Voici la désinformation qui circule à propos de la COVID-19, Radio-Canada, 31 mars 2020.

Auteures : Laurence Brosseau et Alexandra Smith, Bibliothèque du Parlement



Catégories :COVID-19, Information et communications, Lois, justice et droits

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