(Available in English: The Right to Be Left Alone and Police Powers in Canada: Is an Update Needed?)
L’une des assises du droit est la prévisibilité. Or, la jurisprudence du plus haut tribunal du pays sur l’expectative de vie privée et les pouvoirs policiers ressemble plutôt à un château de cartes qui menace de s’effondrer, tant la prévisibilité y est chancelante. Qui plus est, les impondérables sont nombreux, notamment les changements technologiques et la composition de la Cour suprême du Canada.
La Cour, en interprétant l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), qui garantit à chacun « le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives », a souvent pris des décisions discordantes d’application très limitée. Nous n’avons qu’à penser, par exemple, aux décisions qui ne s’appliquent qu’aux messages textes envoyés en temps réel (et non à ceux enregistrés dans un cellulaire), à l’écouvillonnage du pénis (et non à celui du vagin), ou aux ordures ménagères en bordure de la rue (et non à celles laissées près du garage). Cela a rendu l’état du droit criminel aussi complexe que le jeu du chat et de la souris en matière d’évitement fiscal.
C’est en 1984, dans l’arrêt de principe Hunter et autres c. Southam Inc. (influencé par la décision américaine dans l’affaire Katz v. United States), que le juge Dickson a jeté les premières bases de l’interprétation de l’article 8 de la Charte :
- cet article protège les personnes, non les lieux;
- le droit à la vie privée est distinct du droit de propriété;
- lorsqu’une personne peut s’attendre « raisonnablement » au respect de sa vie privée, alors les policiers doivent généralement obtenir au préalable une autorisation judiciaire.
L’infographie suivante tente de brosser un tableau sommaire de plusieurs décisions subséquentes de la Cour suprême où les notions de contrôle sur l’objet saisi, de risque de divulgation de la communication et d’incidences sur les pratiques policières sont venues diviser la Cour et brouiller les cartes de la prévisibilité.
Considérant que les tribunaux sont les gardiens de la Constitution, force est d’admettre que les quelques règles établies par la Cour suprême à propos de l’article 8 restent malgré tout assez vagues – dont notamment le fait que le juge doit tenir compte de l’« ensemble des circonstances ». En somme, de l’avis même de la Cour, les décisions judiciaires sur l’expectative de vie privée demeurent des jugements empreints de valeurs, très difficiles à prédire au cas par cas.
Bien malin celui qui pourra donc prédire l’existence d’une expectative raisonnable de vie privée à l’égard de certains enjeux émergents, comme les suivants :
- l’accès, par les policiers, aux mots de passe et aux données chiffrées;
- le dépistage aléatoire d’alcool ou de drogue (facultés de conduites affaiblies);
- l’accès sans mandat aux informations publiques (p. ex. données tirées des médias sociaux);
- les messages textes d’un prédateur sexuel ou d’un conjoint violent enregistrés dans l’appareil de sa victime.
Voilà donc un point de départ en vue d’une réflexion plus exhaustive : le législateur devrait-il intervenir pour établir des règles claires d’application générale en matière de vie privée et de fouilles par les forces policières? Par ailleurs, rappelons que les dernières modifications substantielles à la Partie VI du Code criminel (Atteintes à la vie privée) remontent aux années 1970, soit bien avant la prolifération des ordinateurs, des téléphones cellulaires et des appareils mobiles.
Auteur : Dominique Valiquet, Bibliothèque du Parlement
Catégories :Information et communications, Lois, justice et droits