(Available in English: Ensuring access to quality education for students enrolled in minority language schools)
Le droit constitutionnel à l’instruction dans sa langue
L’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) donne aux parents le droit de faire instruire leurs enfants dans une école primaire ou secondaire de la minorité, c’est-à-dire en français, à l’extérieur du Québec, ou en anglais, au Québec. Ils peuvent le faire :
- si leur langue maternelle est celle de la minorité;
- s’ils ont reçu leur instruction primaire dans cette langue;
- si les frères et sœurs de leurs enfants ont fréquenté une école de la minorité.
Les communautés de langue officielle en situation minoritaire de partout au pays invoquent ce droit constitutionnel comme une condition essentielle à leur survie. Les provinces et les territoires doivent financer leur part des coûts puisque l’éducation est un champ de compétence qui leur revient d’emblée. Le gouvernement fédéral reconnaît l’importance de l’enseignement dans la langue de la minorité et consacre une grande part de son budget annuel en langues officielles au financement des coûts supplémentaires liés à ce type d’enseignement.
Néanmoins, les élèves francophones et anglophones vivant en situation minoritaire continuent de faire face à des défis importants quant à l’accès aux écoles dans leur langue. À plusieurs reprises, leurs parents et les conseils scolaires de la minorité ont dû se tourner vers les tribunaux pour garantir le plein respect de leurs droits linguistiques.
Tel a été le cas de ces parents franco-colombiens qui, en juin 2010, ont entamé une poursuite de concert avec le conseil scolaire francophone pour exiger la rénovation ou la construction d’écoles dans 17 communautés francophones à travers la province. La cause, portée jusqu’à la Cour suprême du Canada, a représenté une nouvelle occasion de clarifier les droits constitutionnels garantis par l’article 23 de la Charte.
L’issue d’une poursuite qui aura duré dix ans
Le 12 juin 2020, la Cour suprême du Canada a rendu un jugement dans l’affaire Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, une poursuite qui aura été l’une des plus longues et des plus coûteuses de l’histoire des droits linguistiques au Canada. La Cour suprême, dans une décision majoritaire, a statué que les tribunaux inférieurs avaient interprété l’article 23 de la Charte de façon démesurément restrictive. Ce jugement aura des incidences partout au Canada où le besoin pour de nouvelles écoles de la minorité se fait sentir.
Les procureurs généraux de six autres provinces et territoires avaient joint leur voix à celle de la Colombie-Britannique en faisant valoir que des raisons économiques pouvaient justifier des violations de l’article 23. Or, la Cour suprême a statué que ces motifs ne peuvent justifier une violation des droits scolaires là où il y a un risque d’assimilation. Elle a réaffirmé le caractère réparateur de cette disposition, qui vise à favoriser l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire et à modifier le statu quo en palliant l’insuffisance du système scolaire de la minorité.
En quoi consiste l’équivalence réelle?
L’article 23 de la Charte donne le droit aux élèves de la minorité à une expérience éducative de qualité équivalente à celle de la majorité. Le combat pour l’équivalence en éducation a fait l’objet de recours répétés devant les tribunaux, notamment dans un jugement de la Cour suprême du Canada rendu en 2015 qui concernait une école francophone de Vancouver et dans une poursuite intentée devant la Cour supérieure de l’Ontario par des parents francophones de l’est de Toronto en 2017.
La Cour suprême, dans son jugement de juin 2020, a traité des critères applicables pour déterminer si un élève de la minorité reçoit une expérience éducative équivalente à celle offerte à la majorité, sans quoi les parents renonceront à exercer leurs droits linguistiques et inscriront leurs enfants aux écoles de la majorité. L’offre d’une expérience éducative équivalente peut signifier un appui financier plus soutenu du gouvernement provincial aux infrastructures et au transport scolaire pour mettre les écoles de la minorité sur un pied d’égalité avec celles de la majorité. Le gouvernement provincial doit également disposer d’un portrait complet de la clientèle scolaire admissible pour remplir ses obligations.
Sources : Conseil scolaire francophone de la Colombie‑Britannique c. Colombie‑Britannique, 2020 CSC 13; Statistique Canada, Tableau 37-10-0009-01 – Nombre d’élèves dans les programmes d’enseignement pour les minorités de langue officielle; Statistique Canada, La langue française en Colombie-Britannique, 2001 à 2016 : faits et chiffres, no au catalogue 89‑657‑X2019017, 10 décembre 2019; et Statistique Canada, « 4. Droits à l’instruction dans la langue de la minorité », dans Brosser un portrait du Canada : le Recensement de la population de 2021 – 4. Sujets couverts par le Recensement de 2021.
Vers un portrait plus exact des élèves admissibles
Statistique Canada est responsable de la collecte, de la gestion et de l’analyse des données du recensement. Jusqu’à récemment, le recensement ne permettait pas d’estimer le nombre total d’ayants droit potentiels. Seules des données portant sur l’alinéa 23(1)a) de la Charte, c’est-à-dire la langue maternelle, étaient recueillies. Le portrait de la clientèle scolaire admissible dans les écoles de la minorité était, par conséquent, incomplet.
Cette situation est problématique, car les gouvernements provinciaux et territoriaux comptent sur les données du recensement pour déterminer le budget consacré à l’enseignement dans la langue de la minorité et le besoin de construire de nouvelles écoles. Elle entrave également la capacité des conseils scolaires de la minorité de prendre des mesures appropriées pour attirer les ayants droit potentiels et pour retenir les élèves dans le système tout au long de leur parcours scolaire.
Dans sa décision de juin 2020, la Cour suprême a demandé que les droits protégés par l’article 23 de la Charte cessent de faire l’objet d’interminables procédures judiciaires et a reconnu que leur efficacité est vulnérable à l’inaction des gouvernements. Le fait que les ayants droit ne soient pas pleinement dénombrés contribue à exacerber les problèmes des écoles francophones en Colombie-Britannique, tout comme ailleurs au Canada.
Le Parlement canadien presse le pas
Durant la 42e législature, le Comité permanent des langues officielles du Sénat et le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes ont présenté des recommandations pour obliger Statistique Canada à concevoir de nouvelles questions en prévision du Recensement de 2021.
Le Comité de la Chambre des communes a repris le dossier en main, durant la 43e législature, en menant une autre étude sur le dénombrement des ayants droit, dans laquelle de nombreux témoins ont affirmé que le questionnaire abrégé du recensement, distribué à l’ensemble de la population canadienne, constitue la solution à privilégier pour recueillir des données complètes. Au début de la 43e législature, cette question avait d’ailleurs été inscrite dans le mandat de la ministre du Développement économique et des langues officielles.
En 2019, Statistique Canada a testé des questions devant servir à un meilleur dénombrement des ayants droit. Celles-ci ont été soumises au Cabinet qui a approuvé l’ajout de cinq nouvelles questions aux questionnaires abrégé et détaillé du Recensement de 2021. Ces questions sonderont le niveau d’étude atteint dans la langue de la minorité, le type de programme fréquenté et la durée de la fréquentation scolaire.
Ressources additionnelles
Chambre des communes, Comité permanent des langues officielles, Le dénombrement des ayants droit en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés : Pour un recensement au service de la Charte, cinquième rapport, 1re session, 42e législature, mai 2017.
Conseil des ministres de l’Éducation (Canada) et Patrimoine canadien, Protocole d’entente relatif à l’enseignement dans la langue de la minorité et à l’enseignement de la langue seconde, 2019-2020 à 2022-2023 entre le gouvernement du Canada et les provinces et les territoires.
Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique v. British Columbia (Education), 2016 BCSC 1764 [en anglais].
Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique v. British Columbia (Education), 2018 BCCA 205 [en anglais].
Patrimoine canadien, Collaboration intergouvernementale en matière d’éducation dans la langue de la minorité.
Sénat, Comité permanent des langues officielles, Horizon 2018 : Vers un appui renforcé à l’apprentissage du français en Colombie-Britannique, quatrième rapport, 1re session, 42e législature, mai 2017, p. 23 à 24 et 63 à 64.
Sénat, Comité permanent des langues officielles, La modernisation de la Loi sur les langues officielles : La perspective des institutions fédérales et les recommandations, treizième rapport, 1re session, 42e législature, juin 2019, p. 28 et 68.
Statistique Canada, Brosser un portrait du Canada : le Recensement de la population de 2021, no 98‑26‑0001 au catalogue, 2020.
Auteure : Marie-Ève Hudon, Bibliothèque du Parlement
Catégories :Éducation, langue et formation, Lois, justice et droits