(Available in English: Resilience and Strain: Canada–U.S. Relations in 2020)
S’adressant au Parlement du Canada le 11 juin 1947, le président américain Harry Truman a observé que les États‑Unis et le Canada étaient devenus proches au point qu’ils ne se considéraient plus l’un et l’autre comme des pays étrangers : « Nous nous voyons comme des amis, comme deux voisins paisibles qui n’hésitent pas à s’entraider sur un continent si vaste et si généreux. »
Plus de 70 ans ont passé depuis cette allocution, et les mots du président Truman ont en grande partie gardé leur sens. S’il arrive aux décideurs et aux citoyens canadiens d’accueillir les actions américaines avec incertitude, la relation bilatérale entre les deux pays n’a rien perdu de sa résilience.
En 2018, l’administration américaine a imposé des tarifs à certains produits canadiens d’acier et d’aluminium, et le gouvernement canadien a réagi en imposant des tarifs à certains produits américains. Un sondage [en anglais seulement] effectué la même année a révélé que, pour 46 % des Canadiens, la puissance et l’influence des États‑Unis constituaient une menace pour leur pays. Ce pourcentage s’élevait à 38 % en 2017 et à 23 % en 2013.
En revanche, les tarifs ne semblent pas avoir eu un effet important sur la valeur globale du commerce bilatéral de marchandises [en anglais seulement] en 2018, et les Canadiens ont fait 44,4 millions de voyages aux États‑Unis cette même année, une hausse de 4,7 % par rapport en 2017. Par ailleurs, l’Accord de libre‑échange Canada–États‑Unis–Mexique (ACEUM), parfois appelé « ALENA 2.0 », devrait entrer en vigueur en 2020.
La relation canado‑américaine n’a donc pas à prouver sa résilience mais, comme il en sera question ci‑dessous, trois enjeux bilatéraux pourraient faire ou refaire surface en 2020 : un premier qui perdure depuis longtemps, un deuxième plus récent et un troisième qui pourrait surgir.
Le bois d’œuvre
Les exportations canadiennes de bois d’œuvre aux États-Unis s’élevaient à 7,8 milliards de dollars en 2017. Cette marchandise y est surtout utilisée dans le secteur de la construction résidentielle.
Les trois signataires devraient ratifier l’ACEUM en 2020, mais cet accord, tout comme l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis et son ancêtre, l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), ne s’applique pas au commerce des produits du bois d’œuvre entre le Canada et les États-Unis.
Le commerce de ces produits est plutôt régi depuis longtemps par des accords distincts, dont le dernier en date est l’Accord sur le bois d’œuvre résineux de 2006, qui a pris fin en octobre 2015.
Après une prolongation d’un an de l’Accord sur le bois d’œuvre résineux, les producteurs américains de bois d’œuvre ont recommencé à agir comme ils le faisaient : ils ont obtenu l’imposition de restrictions sur les importations canadiennes par l’application de droits compensateurs et antidumping.
Le gouvernement du Canada a contesté ces droits américains dans le cadre du mécanisme de règlement des différends prévu au chapitre 19 de l’ALENA, en plus de saisir l’Organisation mondiale du commerce de cette question dans deux affaires distinctes.
Les deux pays soutiennent actuellement que l’autre partie est peu encline [en anglais seulement] à relancer les négociations qui pourraient mettre fin au conflit du bois d’œuvre, et les droits américains ont contribué à la fermeture de scieries canadiennes [en anglais seulement] et à la disparition d’emplois, surtout en Colombie-Britannique.
L’Entente sur les tiers pays sûrs
En vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté peut désigner « tiers pays sûr » un pays où le demandeur d’asile peut être renvoyé pour présenter sa demande de protection.
Conformément à la Loi, Ottawa a conclu avec Washington ce qu’on appelle communément l’Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs, qui est entrée en vigueur en 2004.
Cette entente oblige les gens qui demandent l’asile aux États-Unis ou au Canada à présenter leur demande dans le premier pays sûr où ils sont entrés, sauf s’ils sont visés par l’une des quatre exceptions. Il existe toutefois une « échappatoire » [en anglais seulement] : comme l’entente ne s’applique qu’aux points d’entrée officiels entre les deux pays, les gens qui traversent la frontière entre ces points d’entrée peuvent tout de même demander l’asile.
En janvier 2017, le président Trump a signé des décrets sur la sécurité frontalière et l’application de la loi à l’intérieur du pays, ainsi que sur les réfugiés et les titulaires de visa des pays désignés. En 2018, son administration a aussi adopté la politique de « tolérance zéro » [en anglais seulement] à l’égard des sans-papiers.
C’est dans ce contexte que des milliers de gens sont entrés au Canada en traversant la frontière par des points d’entrée non officiels. Leur arrivée a donc exercé une pression indue sur le système de détermination du statut de réfugié du Canada et entraîné des retards dans le traitement des demandes d’asile. Cette situation a aussi poussé le gouvernement canadien à adopter des modifications législatives prévoyant une autre façon d’évaluer les besoins de protection des gens qui ont déjà présenté une demande d’asile aux États-Unis et qui en font aussi une au Canada.
Le gouvernement canadien a déclaré être toujours déterminé à moderniser l’Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs en collaboration avec le gouvernement américain. Certains observateurs [en anglais seulement] doutent toutefois que les Américains consentent à des modifications qui entraîneraient le renvoi de demandeurs d’asile aux États-Unis.
L’imposition des grandes entreprises du secteur des technologies numériques
À l’instar de la France, le gouvernement canadien propose d’imposer une taxe de 3 % aux multinationales du secteur des technologies numériques – comme Google, Facebook et Amazon – sur certains revenus générés au Canada.
Le 29 septembre 2019, le directeur parlementaire du budget a publié une analyse dans laquelle il estime que cette taxe générerait 540 millions de dollars de recettes en 2020-2021 et 1,2 milliard de dollars d’ici 2028-2029.
En raison des répercussions prétendument discriminatoires que la taxe française aurait sur les entreprises américaines, l’administration Trump a menacé d’imposer des droits de douane d’une valeur de 2,4 milliards de dollars américains sur une gamme d’importations françaises, dont les sacs à main de luxe, le fromage et le vin.
D’après certains observateurs [en anglais seulement], la taxe canadienne pourrait provoquer une réaction américaine semblable.
La Chambre de commerce des États-Unis, qui s’oppose au projet de taxe du Canada, souligne que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) mène des négociations prometteuses à propos d’une solution multilatérale qui réglerait le problème de l’imposition d’une taxe aux multinationales du secteur des technologies numériques.
Le gouvernement canadien s’est engagé à collaborer avec l’OCDE en vue d’une solution multilatérale [en anglais seulement], mais il s’est aussi engagé à instaurer une taxe sur les services numériques d’ici le 1er avril 2020.
Plus solide que les jeux politiques de l’heure
Ces trois enjeux, entre autres, pourraient accentuer les tensions à court ou à moyen terme entre le Canada et les États-Unis, mais plusieurs anciens diplomates des deux pays pensent qu’aucun dossier ne pourrait compromettre de façon permanente une relation qui résiste au temps.
Michael Kergin – ancien ambassadeur du Canada aux États-Unis – compare par exemple la relation du Canada et des États-Unis à un navire qui « retrouve toujours son équilibre » [traduction] dans des eaux agitées. Du point de vue des États-Unis, David Jacobson – ancien ambassadeur des États-Unis au Canada – déclare quant à lui que cette relation est « plus solide que le politicien ou les jeux politiques de l’heure » [traduction].
Ressources supplémentaires
Colin Robertson, Prime Minister Justin Trudeau: A Foreign Policy Assessment 2015-2019, Institut canadien des affaires mondiales, janvier 2020.
Tamara M. Woroby, « Finding Commonalities Amidst Increasing Difference in Canadian and U.S. Immigration Policies » dans Canada-US Relations: Sovereignty or Shared Institutions, David Carment et Christopher Sands (dir.), Canada Among Nations 2018, Palgrave Macmillan, 2019.
Auteur : B. J. Siekierski, Bibliothèque du Parlement
Catégories :Affaires internationales et défense, Industrie, entreprises et commerce