Contrôle des armements : après l’essor, le déclin?

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(Available in English: The Rise and Fall of Arms Control?)

À la fin des années 1980 et au début des 1990, les tensions entre superpuissances ont commencé à se relâcher. Il est alors devenu possible de négocier des accords complexes sur les armes classiques et les armes de destruction massive. Ceci étant dit, quand le contexte géopolitique évolue, l’évaluation de la situation peut changer et la dynamique risque de s’enliser.

Cette Note de la Colline traite de la structure de contrôle des armements bâtie au terme de la Guerre froide et de sa situation à l’heure actuelle.

Le désarmement vérifiable

Contrairement aux accords de contrôle des armements plutôt limités qui les ont précédés, les accords signés entre 1987 et 1993 comprenaient des mesures de vérification intrusives et exigeaient une réduction des armements.

Le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (Traité FNI) de 1987 et le Traité de réduction des armements stratégiques (traité START I) de 1991 contenaient des dispositions sur l’échange de données, les avis et les inspections sur place.

Déjà, en 1991, le Traité FNI avait éliminé toute une catégorie d’armes nucléaires aux États-Unis et en Union soviétique, c’est-à-dire les missiles à lanceur terrestre – classiques et à charge nucléaire – ayant une portée située entre 500 et 5 500 kilomètres. Ces missiles pouvaient atteindre leur cible en quelques minutes.

Le traité START I s’appliquait aux armes stratégiques qui pouvaient causer des pertes catastrophiques à distance. Il limitait l’arsenal des Américains et des Soviétiques chacun à 6 000 ogives nucléaires comptabilisées dans le cadre du traité, déployées sur 1 600 dispositifs de lancement à longue portée, c’est-à-dire des missiles balistiques intercontinentaux terrestres, des lanceurs de missiles balistiques installés à bord des sous-marins et des bombardiers. Des négociations menées entre la Russie – successeur légal de l’Union soviétique – et les États-Unis en vue d’élargir ces accords ont abouti notamment au Traité sur la réduction des armements stratégiques offensifs de 2002 et ont entraîné d’autres réductions des arsenaux nucléaires de ces deux pays.

Aujourd’hui, en application du nouveau traité START signé en 2010, les États-Unis et la Russie sont limités à 1 550 ogives nucléaires déployées chacun et à 700 dispositifs de lancement déployés. Les deux parties demeurent en deçà de ces limites [en anglais].

Si le Protocole de Genève, signé en 1925, prohibait l’usage d’armes chimiques en temps de guerre, la Convention sur l’interdiction des armes chimiques de 1993, elle, interdisait la mise au point, la fabrication, la conservation, le stockage, le transfert, l’acquisition et l’usage de telles armes. En outre, elle prévoyait la création de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), établie pour surveiller l’application de la Convention. Cette dernière compte aujourd’hui 193 États parties, au nombre desquels figure le Canada.

L’érosion de la confiance

Le climat géopolitique influe sur la perception qu’ont les États du contrôle des armements, et il n’est pas statique.

Au cours des deux dernières décennies, il s’est produit une série d’événements, notamment le déplacement du pouvoir mondial et la modernisation des programmes militaires. Il s’est également produit une série d’autres événements, dont plusieurs ont été perçus par la Russie comme des menaces pour sa sécurité. Les États-Unis et leurs alliés, de leur côté, considèrent que ces événements ont dégradé l’ordre international fondé sur des règles. Ces événements incluent l’élargissement de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) pour permettre à des pays de l’Europe de l’Est d’y adhérer et les agressions de la Russie en Géorgie et en Ukraine.

En 2002, à la suite des attaques perpétrées contre eux en 2001 par al-Qaïda, les États-Unis se sont retirés du Traité antimissiles balistiques de 1972 avec un argumentaire [en anglais] centré sur la nécessité de protéger leur population contre d’éventuelles attaques au missile menées par des groupes terroristes ou des États voyous. Ce traité bilatéral interdisait le déploiement à l’échelle nationale d’un système de défense antimissiles et avait pour objet de promouvoir la stabilité en veillant à ce que chacune des superpuissances demeure vulnérable aux systèmes offensifs de l’autre.

La Russie a annoncé en 2007 qu’elle cesserait de respecter les obligations que lui imposait le Traité sur les Forces armées conventionnelles en Europe (Traité sur les FCE) de 1990, qui compte 30 États signataires, dont le Canada. Ce traité visait à atténuer la menace d’attaque-surprise en limitant le déploiement et la concentration de matériel militaire conventionnel lourd en Europe centrale.

L’Accord d’adaptation de 1999 du Traité sur les FCE avait été négocié pour prendre en considération la dissolution du Pacte de Varsovie, dirigé par l’Union soviétique, et permettre à d’autres pays européens de devenir signataires du Traité. Cependant, les pays membres de l’OTAN ont indiqué qu’ils ne le ratifieraient pas tant que la Russie n’aurait pas retiré les Forces armées qu’il lui restait dans les régions sécessionnistes de Moldavie et de Géorgie. Cette condition n’a jamais été respectée.

En 2014, année où la Russie a annexé la région de la Crimée en Ukraine, les États-Unis ont déclaré publiquement [en anglais] que la Russie contrevenait au Traité FNI, car elle avait mis au point un système de missiles à lanceur terrestre de portée intermédiaire. Après avoir appelé plusieurs fois la Russie à se conformer au Traité FNI, les États-Unis se sont retirés [en anglais] du Traité en août 2019 et les pays alliés de l’OTAN ont déclaré que la Russie « porte l’entière responsabilité » de l’extinction de ce traité.

Le non-respect présumé de la Russie a aussi été cité comme justification [en anglais], en mai 2020, quand les États-Unis ont signifié leur retrait du Traité sur le régime « Ciel ouvert » de 1992. Ce traité avait été ratifié par 34 États, dont le Canada, codépositaire du traité aux côtés de la Hongrie. Le gouvernement des États-Unis a annoncé que son retrait entrerait en vigueur le 22 novembre 2020. Même s’ils se sont dits préoccupés par les restrictions imposées par la Russie des vols d’observation à court préavis qu’autorise le Traité, 12 États européens ont déclaré qu’ils continueraient de travailler à la mise en œuvre de ce traité.

Le nouveau traité START – qui s’applique aux armes nucléaires stratégiques, mais non tactiques (« du champ de bataille ») – arrive à échéance le 5 février 2021, bien qu’il puisse être prorogé pour une période allant jusqu’à cinq ans, si ses signataires en conviennent.

La modernisation des forces militaires de la Chine est venue elle aussi compliquer le contexte des négociations. Selon le Département de la Défense des États-Unis, la Chine possède [en anglais] plus de 1 250 missiles balistiques classiques et missiles de croisière à lanceur terrestre. Elle chercherait en outre à élargir et à diversifier ses forces nucléaires stratégiques, mais ces dernières seraient, encore, beaucoup plus modestes. La Chine n’étant pas partie aux accords sur les armes nucléaires conclus par les États-Unis et la Russie, elle n’a pas été assujettie à des règles de transparence équivalentes à celles de ces deux pays.

La Convention sur l’interdiction des armes chimiques, considérée comme un succès, a donné lieu à la destruction de plus de 98 % des stocks mondiaux déclarés d’armes chimiques. Néanmoins, nous savons que des armes chimiques ont été employées ces dernières années en Syrie; on signale aussi des cas où elles auraient été utilisées contre des particuliers ailleurs dans le monde.

On a modifié [en anglais] en 2019 l’Annexe sur les produits chimiques pour allonger la liste des produits chimiques toxiques et assujettir ces derniers à des impératifs de déclaration et de vérification. L’Annexe ainsi modifiée est entrée en vigueur le 7 juin 2020 pour tous les États parties à la Convention. Elle a été modifiée en réaction à l’utilisation d’un agent chimique neurotoxique de type militaire faisant partie du groupe Novitchok au Royaume-Uni en 2018, dans le cadre d’une opération que la France, l’Allemagne, les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni ont associée à la Russie.

Plus tard, en septembre 2020, le gouvernement allemand a communiqué [en anglais] les résultats de tests révélant qu’Alexei Navalny, figure de l’opposition russe, avait été empoisonné par un agent neurotoxique, connu sous l’appellation de Novitchok. L’OIAC a été priée [en anglais] de fournir son assistance technique dans cette affaire. Son rapport [en anglais] a confirmé la présence de Novitchok dans les échantillons reçus.

Les ministres des Affaires étrangères du Groupe des Sept, les membres alliés de l’OTAN et l’Union européenne (UE) ont appelé la Russie à trouver les coupables et à les traduire en justice. L’UE a aussi annoncé des sanctions visant six personnes et une entité impliquées dans l’empoisonnement.

Que nous réserve l’avenir?

Quand il avait sollicité l’appui de ses compatriotes à l’égard du Traité d’interdiction partielle des essais nucléaires de 1963, première grande contrainte de l’ère du nucléaire, le président américain Kennedy les avait prévenus [en anglais] que, comme l’histoire l’avait déjà montré, « l’esprit présent à un moment ou dans un lieu pouvait s’éteindre en un seul instant [traduction] ».

Une bonne partie de la structure de contrôle des armements bâtie à la fin de la Guerre froide, à l’aube de la nouvelle ère, montre aujourd’hui des signes de fatigue. Si nous ne nous attelons pas à la renouveler ou à la remplacer, le contexte de la sécurité internationale risque de perdre de la transparence et de la prévisibilité, et, par conséquent, d’être moins stable qu’auparavant.

Ressources additionnelles

Arms Control Association, Fact Sheets: Treaties and Agreements at a Glance [en anglais].

États-Unis, Département d’État, Bureau of Arms Control, Verification and Compliance, Adherence to and Compliance with Arms Control, Nonproliferation, and Disarmament Agreements and Commitments (Compliance Report) [en anglais].

Lisa M. Schenck et Robert A. Youmans, « From Start to Finish: A Historical Review of Nuclear Arms Control Treaties and Starting Over With the New Start », Cardozo Journal of International and Comparative Law, vol. 20, 2012 [en anglais].

Joe Clark et Peter Jones, « The Treaty on Open Skies is too valuable for international stability to be abandoned », opinion, The Globe and Mail, 29 novembre 2019 [en anglais].

Ian Anthony, « Strengthening Global Regimes: Addressing the Threat Posed by Chemical Weapons », SIPRI Policy Paper, no 57, Stockholm International Peace Research Institute, novembre 2020 [en anglais].

Gouvernement du Canada, Désarmement nucléaire et non-prolifération.

Gouvernement du Canada, Armes chimiques.

Auteurs : Allison Goody et James Lee, Bibliothèque du Parlement



Catégories :Affaires internationales et défense, Lois, justice et droits

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