Chaîne d’approvisionnement en minéraux critiques : bâtir la résilience du Canada

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Depuis quelques années, on observe, à l’échelle mondiale, une importante croissance de la demande en minéraux et en métaux. Cette croissance est principalement attribuable à l’amorce d’une transition énergétique et aux avancées technologiques. Grâce à ses vastes réserves minérales et à sa capacité industrielle, le Canada se trouve en position favorable pour profiter de l’augmentation de la demande mondiale et développer des chaînes de valeur associées. Mais pour atteindre cet objectif, le pays doit d’abord identifier les parties prenantes qui ont une incidence sur l’exploitation et le traitement de ses ressources minières.

Croissance de la demande en minéraux critiques

La demande mondiale de plusieurs minéraux et métaux a considérablement augmenté ces dernières années, et cette tendance à la hausse devrait se poursuivre. Largement alimentée par la transition vers de nouvelles sources d’énergie, elle s’explique d’abord par le fait que plusieurs minéraux et métaux sont nécessaires à la fabrication de technologies de pointe et à la production et au stockage d’énergies à faibles émissions (dans des batteries lithium-ion, par exemple). La Banque mondiale [en anglais] estime que la demande pour certains minéraux et métaux d’intérêt, tels que le cobalt, le graphite et le lithium, pourrait être multipliée par cinq entre 2018 et 2050. La demande croissante en minéraux est également alimentée par l’essor de la fabrication et du développement de plusieurs technologies, telles que les semi-conducteurs et le matériel militaire [en anglais] de pointe.

Au vu de la croissance de la demande en minéraux et en métaux, de nombreux pays, dont le Canada, ont dressé une liste nationale des minéraux jugés critiques. Cette démarche vise à guider les investissements et à définir les priorités pour soutenir les chaînes d’approvisionnement associées. Un minerai est généralement considéré comme critique s’il est irremplaçable, s’il revêt une importance stratégique, s’il est disponible en quantités limitées et s’il est fortement concentré dans certaines zones d’extraction et de traitement. L’Australie [en anglais], les États-Unis [en anglais] et l’Union européenne ont dressé une liste de minéraux critiques similaire à celle du Canada; ce chevauchement peut s’expliquer par la nature des chaînes d’approvisionnement mondiales et des défis communs.

Production nationale et internationale

Le Canada produit plus de 60 minéraux et métaux différents, dont 21 des 31 minéraux qu’il juge critiques. Il est le plus grand producteur et exportateur mondial de potasse et, bien qu’il ne produise pas de grandes quantités de lithium ou d’éléments de terres rares (ETR), il possède une part importante des réserves mondiales de ces minéraux. Même s’il compte parmi les dix plus grands producteurs mondiaux de cobalt, graphite, nickel et zinc, il n’assure que moins de 5 % de la production mondiale de chacun de ces minéraux.

La production et le traitement de plusieurs minéraux critiques demeurent concentrés dans certaines régions. À titre d’exemple, voici des parts de la production mondiale en 2022 :

  • Australie – 47 % du lithium;
  • Indonésie – 49 % du nickel;
  • République populaire de Chine (RPC) – 70 % des ETR [en anglais] et 66 % du graphite;
  • République démocratique du Congo – 70 % du cobalt.

Après son extraction, un minerai doit être traité avant de pouvoir être utilisé. La RPC est le chef de file mondial dans le traitement ou l’affinage de plusieurs minéraux critiques dont le processus de traitement est complexe, notamment le cobalt, les ETR et le lithium. Quant à lui, le Canada possède d’importantes infrastructures de traitement de l’aluminium et de l’uranium.

La concentration mondiale de la production et du traitement de minéraux critiques expose le Canada et ses partenaires à divers risques, tels que les perturbations dans l’approvisionnement et les mesures restrictives adoptées par certains pays. En 2022, le gouvernement du Canada a publié la Stratégie canadienne sur les minéraux critiques dans laquelle il souligne notamment l’importance de diversifier les chaînes d’approvisionnement afin de les sécuriser.

Sécurisation des chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques

Propriété des actifs miniers canadiens

Avec la croissance de la demande en minéraux critiques, le Canada peut tirer profit non seulement de ses vastes ressources minières, mais également de sa capacité à développer toute la chaîne de valeur de technologies de pointe. Par exemple, des entreprises privées, en collaboration avec les gouvernements fédéral et provinciaux, ont annoncé plusieurs investissements visant à renforcer la chaîne de valeur des véhicules électriques au pays. Entre autres, ces investissements permettront de construire ou de moderniser des installations de production de véhicules électriques lesquelles prévoient de s’approvisionner localement en minéraux critiques.

Comme plusieurs parties prenantes l’ont souligné au cours de l’étude sur les minéraux critiques menée en 2022 par le Comité permanent de l’industrie et de la technologie de la Chambre des communes, pour tirer pleinement parti du développement des chaînes de valeur associées aux technologies de pointe, le Canada doit garantir son accès aux minéraux critiques. Si le Canada se concentre uniquement sur la production de ces technologies et continue d’importer les minéraux nécessaires à leur fabrication, sa chaîne d’approvisionnement demeurera vulnérable et il restera dépendant d’autres pays.

En raison des vastes ressources minières du Canada, de nombreuses entreprises, canadiennes et étrangères, investissent dans ses gisements. Dans la figure 1, on constate que 21 des 47 mines de minéraux critiques au pays appartiennent à des entreprises dont le Canada est le pays de résidence de la société mère ultime. De plus, l’Australie, le Brésil et la RPC sont les pays de résidence des sociétés mères ultimes d’autres mines présentes au pays, y compris celles produisant du lithium et des ETR. Les mines produisant d’« autres minéraux critiques » exploitent principalement de la potasse et plusieurs minéraux critiques à la fois.

Figure 1 – Mines de minéraux critiques en activité au Canada en 2024

Carte illustrant l’emplacement des mines de minéraux critiques en activité au Canada et indiquant le pays de résidence des sociétés mères ultimes qui les exploitent ainsi que les principaux minéraux qui y sont extraits. Ces sociétés ont comme pays de résidence le Canada, l’Australie, le Brésil, la Chine, les États-Unis et le Royaume-Uni ou d’autres pays, comme l’Afrique du Sud, l’Allemagne, la Pologne et la Suisse. Parmi les minéraux critiques extraits, on retrouve principalement le cuivre, les éléments de terres rares, le graphite, le lithium et l’uranium.

Sources : Carte produite par la Bibliothèque du Parlement en 2024 à partir de données tirées de Gouvernement du Canada, Carte des minéraux critiques du Canada; Statistique Canada, Liens de parenté entre sociétés, 2022, 30 octobre 2023; LexisNexis, « Corporate Affiliations », base de données, consultée le 2 février 2024; S&P Global, « S&P Capital IQ », base de données, consultée le 29 février 2024; sites Web de différentes sociétés; Ressources naturelles Canada (RNCan), Limites administratives au Canada – Série CanVec – Entités administratives, 1:5M, 2019; et RNCan, Lacs, rivières et glaciers au Canada – Série CanVec – Entités hydrographiques, 1:5M, 2019. Logiciel utilisé : Esri, ArcGIS Pro, version 3.2.2. Contient de l’information visée par la Licence du gouvernement ouvert – Canada et la Licence ouverte de Statistique Canada.

Le gouvernement du Canada définit un « projet avancé » comme étant un projet minier qui comporte des réserves ou des ressources minérales confirmées et dont la viabilité est soutenue par une étude économique initiale ou une étude de faisabilité préliminaire. Ces projets sont associés à des sites qui extraient ou prévoient d’extraire au moins un des minéraux critiques du Canada, ainsi que d’autres minéraux et métaux. On remarque dans la figure 2 que le Canada compte près de 30 projets avancés axés sur les ETR, le graphite et le lithium. Parmi eux, 22 projets appartiennent à des entreprises dont le Canada est le pays de résidence de la société mère ultime.

Figure 2 – Projets avancés d’éléments de terres rares, de graphite et de lithium au Canada

Carte illustrant l’emplacement des projets avancés d’éléments de terres rares, de graphite et de lithium au Canada et indiquant le pays de résidence des sociétés mères ultimes qui pilotent ces projets. La plupart de ces sociétés ont comme pays de résidence le Canada, l’Australie et le Royaume-Uni, mais l’une d’entre elles est issue de la fusion d’une société américaine et d’une société australienne dont la résidence est en Irlande. Le minerai critique principal extrait (graphite, lithium ou éléments de terres rares) est également indiqué.

Sources : Carte produite par la Bibliothèque du Parlement en 2024 à partir de données tirées de Gouvernement du Canada, Carte des minéraux critiques du Canada; Statistique Canada, Liens de parenté entre sociétés, 2022, 30 octobre 2023; LexisNexis, « Corporate Affiliations », base de données, consultée le 2 février 2024; S&P Global, « S&P Capital IQ », base de données, consultée le 29 février 2024; sites Web de différentes sociétés; Ressources naturelles Canada (RNCan), Limites administratives au Canada – Série CanVec – Entités administratives, 1:5M, 2019; et RNCan, Lacs, rivières et glaciers au Canada – Série CanVec – Entités hydrographiques, 1:5M, 2019. Logiciel utilisé : Esri, ArcGIS Pro, version 3.2.2. Contient de l’information visée par la Licence du gouvernement ouvert – Canada et la Licence ouverte de Statistique Canada.

Enfin, comme l’indique la figure 3, seulement 9 des 33 centres de traitement de minéraux critiques appartiennent à des entreprises dont le Canada est le pays de résidence de la société mère ultime. Le Brésil, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Suisse, la France et l’Allemagne sont les pays de résidence des sociétés mères ultimes auxquelles appartiennent les 24 autres centres de transformation, exploitant principalement de l’aluminium ou plusieurs minéraux critiques simultanément.

Figure 3 – Centres de traitement des minéraux critiques au Canada

Carte illustrant l’emplacement des centres de traitement de minéraux critiques au Canada et indiquant les pays de résidence des sociétés mères ultimes qui exploitent ces centres ainsi que les principaux minéraux critiques traités. Parmi les pays de résidence de ces sociétés, on compte le Canada, l’Australie, le Brésil, les États-Unis et le Royaume-Uni, mais aussi, dans une moindre mesure, l’Allemagne, la France et la Suisse. Les principaux minéraux critiques traités sont l’aluminium, le cuivre, l’uranium et d’autres encore dont la nature n’est pas précisée.

Sources : Carte produite par la Bibliothèque du Parlement en 2024 à partir de données tirées de Gouvernement du Canada, Carte des minéraux critiques du Canada; Statistique Canada, Liens de parenté entre sociétés, 2022, 30 octobre 2023; LexisNexis, « Corporate Affiliations », base de données, consultée le 2 février 2024; S&P Global, « S&P Capital IQ », base de données, consultée le 29 février 2024; sites Web de différentes sociétés; Ressources naturelles Canada (RNCan), Limites administratives au Canada – Série CanVec – Entités administratives, 1:5M, 2019; et RNCan, Lacs, rivières et glaciers au Canada – Série CanVec – Entités hydrographiques, 1:5M, 2019. Logiciel utilisé : Esri, ArcGIS Pro, version 3.2.2. Contient de l’information visée par la Licence du gouvernement ouvert – Canada et la Licence ouverte de Statistique Canada.

L’information dans ces figures donne un aperçu préliminaire des enjeux et des parties prenantes qui ont une incidence sur l’exploitation et le traitement des ressources minières canadiennes. L’un de ces enjeux concerne la sécurisation de la chaîne d’approvisionnement. Pour sécuriser la chaîne d’approvisionnement, d’autres facteurs (non illustrés dans les figures ci-dessus) doivent être pris en ligne de compte, notamment la capacité de production des mines et des centres de traitement, l’expertise technique du Canada dans le traitement des minéraux critiques tels que le lithium ou les ETR, ainsi que le développement des infrastructures de transport dans les régions rurales et éloignées. De plus, les figures ne révèlent pas les accords conclus avec certaines entreprises pour la réservation anticipée de la production d’une mine.

Il est important de noter que la propriété des actifs miniers peut varier considérablement dans le temps. Les figures 1, 2 et 3 ne fournissent pas d’indications sur l’identité ni sur l’importance des autres investisseurs principaux dans un projet minier en particulier. Dans sa stratégie sur les minéraux critiques, le gouvernement fédéral affirme toutefois s’engager à répondre aux préoccupations concernant la propriété des actifs miniers canadiens en adaptant le régime d’examen des investissements étrangers et en collaborant avec des partenaires locaux et internationaux pour harmoniser les politiques. Du côté législatif, le projet de loi C-34, Loi modifiant la Loi sur Investissement Canada, qui vise à renforcer la capacité du gouvernement fédéral à détecter, examiner et restreindre les investissements étrangers susceptibles de compromettre la sécurité nationale, a reçu la sanction royale le 22 mars 2024.

Perspectives et défis

La prise de contrôle nationale des ressources minières du Canada pourrait constituer l’une des approches à adopter pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques du pays et développer des chaînes de valeur associées. Toutefois, cette démarche de sécurisation se heurte à des obstacles tenaces.

D’une part, le Canada, bien qu’il dispose de ressources minières abondantes, rencontre divers obstacles dans l’exploitation et la transformation des minéraux critiques. Parmi ces obstacles, il faut compter : de longs délais dans la délivrance de permis pour une nouvelle mine, une difficulté constante à amasser du capital, particulièrement pour les petites entreprises, et, selon certains, un cadre financier et réglementaire complexe.

D’autre part, le secteur minier est confronté à des défis en matière d’emploi. Selon l’Association minière du Canada, le secteur fait face à une importante pénurie de main-d’œuvre, notamment en matière de travailleurs qualifiés, qui pourrait être aggravée par une augmentation des activités dans le secteur. En outre, malgré une amélioration dans la représentation des femmes dans les dernières années, celles-ci ne composaient que 15 % de la main-d’œuvre minière en 2018. Bien que la représentation des Autochtones dans le secteur de l’exploitation minière ait augmenté au cours des 10 dernières années, passant de 8 % de la main‑d’œuvre en 2011 à 12 % en 2021, les femmes autochtones [en anglais] continuent de faire face à des obstacles qui entravent leur inclusion dans le secteur.

Les communautés autochtones, bien qu’ayant souvent des droits ou des titres sur des terres riches en ressources naturelles, font face à des obstacles persistants qui les empêchent de jouer un rôle de premier plan dans le secteur minier. En effet, malgré la conclusion de plus de 500 accords depuis l’an 2000 entre ces communautés et les sociétés minières, les processus décisionnels dans le secteur minier ne sont pas toujours inclusifs et des obstacles systémiques continuent de limiter leur participation et leur leadership dans l’industrie minière. De plus, les activités minières entraînent des répercussions néfastes [en anglais] sur ces communautés, notamment sur le plan environnemental, d’où l’importance de les impliquer pleinement dans la prise de décision.

Conclusion

Le Canada se trouve en position favorable pour tirer parti de la croissance de la demande mondiale en minéraux critiques et développer les chaînes de valeur connexes. Toutefois, il est essentiel d’analyser minutieusement tous les facteurs qui ont une incidence sur sa chaîne d’approvisionnement afin d’en déterminer les forces et les vulnérabilités. Un facteur important à cet égard sera la capacité du Canada à nouer les partenariats internationaux qui sont indispensables pour développer une chaîne d’approvisionnement en minéraux critiques résiliente et stimuler la croissance des chaînes de valeur associées.

Par Sarah Lemelin-Bellerose, Bibliothèque du Parlement



Catégories :Agriculture, environnement, pêches et ressources naturelles, Industrie, entreprises et commerce

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