L’immense potentiel des technologies quantiques : risques et possibilités

Temps de lecture : 7 minutes

Available in English.

Au Canada, comme à l’étranger, plusieurs parties prenantes travaillent avec acharnement depuis quelques années au développement des technologies quantiques, car celles-ci pourraient avoir des répercussions importantes sur de nombreux secteurs. Par ailleurs, le gouvernement canadien a lancé sa stratégie quantique nationale le 13 janvier 2023.

Technologie quantique 101

La physique quantique – science sur laquelle reposent les technologies quantiques – a pour objet l’étude du comportement des particules subatomiques. Ce comportement est plus aisément observable lorsque ces particules sont regroupées dans un ensemble cohérent, qu’on appelle « système quantique ». Grâce à leurs propriétés issues des comportements de la matière à l’échelle atomique et subatomique, les systèmes quantiques pourraient s’avérer très puissants. Si les systèmes informatiques classiques utilisent des signaux contenant de l’information binaire (0 ou 1) mesurée en bits, les systèmes quantiques s’appuient plutôt sur de l’information mesurée en bits quantiques ou qubits, qui peut représenter à la fois 0 ou 1, ou toute combinaison de 0 et de 1 en superposition.

Ce phénomène de superposition des qubits permet à l’ordinateur quantique de traiter l’information de manière à accomplir plusieurs tâches simultanément, ce qui explique sa puissance de calcul exponentiellement supérieure (comme le montre la figure 1) à celle d’un ordinateur classique, par exemple.

Figure 1 – Comparaison entre la puissance de traitement d’un ordinateur classique et d’un ordinateur quantique

Grâce au phénomène de superposition des qubits, un ordinateur quantique devient exponentiellement plus puissant chaque fois qu’on y ajoute un qubit. Par exemple, 1 qubit équivaut à 2 bits. 2 qubits équivalent à 4 bits. 3 qubits équivalent à 8 bits. 4 qubits équivalent à 16 bits. 5 qubits équivalent à 32 bits. 6 qubits équivalent à 64 bits. 7 qubits équivalent à 128 bits. 8 qubits équivalent à 256 bits. 9 qubits équivalent à 512 bits. 10 qubits équivalent à 1 024 bits. 50 qubits équivalent à 1 125 899 906 842 620 bits. 100 qubits équivalent à 1 267 650 600 228 230 000 000 000 000 000 bits. 250 qubits équivalent à 2 à la puissance 250 bits. 1 000 qubits équivalent à 2 à la puissance 1 000 bits.

Sources : Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Catherine Florès, « Les constructeurs de l’avenir quantique», Magazine Poly, Polytechnique Montréal, 1er mars 2019; et de IBM Canada, Diriger la notoriété industrielle et universitaire du Canada vers une stratégie quantique nationale, 2021.

Les ordinateurs quantiques seront particulièrement utiles pour résoudre les problèmes combinatoires [en anglais], c’est-à-dire des problèmes dont la finalité est l’organisation de plusieurs éléments pour trouver la solution optimale. Alors que l’ordinateur classique doit essayer toutes les permutations possibles pour trouver la solution, l’ordinateur quantique peut effectuer ces tâches simultanément.

La figure 2 présente des exemples de problèmes combinatoires qui pourraient être résolus par les ordinateurs quantiques.

Figure 2 – Exemples de solutions aux problèmes combinatoires que les ordinateurs quantiques pourraient apporter dans divers secteurs

L’utilisation des ordinateurs quantiques pour résoudre des problèmes combinatoires permettrait de réaliser des progrès dans plusieurs domaines, y compris l’agriculture, la finance, l’information et la technologie, les sciences et la chaîne de production. Agriculture : prévisions météorologiques plus précises pour optimiser les activités et création d’engrais plus efficaces. Finance : calculs financiers plus rapides, optimisation de portfolios, arbitrage d’échanges internationaux facilités, évaluation du crédit par score amélioré et détection de la fraude. Information et technologie : avancement de l’intelligence artificielle grâce au traitement de plus grandes quantités de données et optimisation du routage et de l’infrastructure des réseaux de services de télécommunication. Sciences : simulations quantiques pour prédire les propriétés de nouvelles molécules qui permettront d’accélérer la découverte de nouveaux médicaments, développement de nouveaux matériaux quantiques pour acquérir, traiter, stocker et distribuer de l’information et de l’énergie, et analyses de grandes quantités de données pour améliorer l’efficacité des plans de traitement. Chaîne de production : identification rapide de défaillances dans les chaînes de production complexes et optimisation des routes de livraison.

Sources : Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Francesco Bova, Avi Goldfarb et Roger Melko, «Commercial applications of quantum computing», EPJ Quantum Technology, vol. 8, no 2, 2021 [en anglais]; de Francesco Bova, Avi Goldfarb et Roger Melko, «Quantum Computing Is Coming. What Can It Do?», Harvard Business Review, 16 juillet 2021 [en anglais] [abonnement requis]; et de Marc Haddad et al., L’Informatique Quantique : la 5e révolution, PricewaterhouseCoopers, 2019.

La technologie quantique permet de sécuriser les communications notamment grâce à la distribution quantique de clés (DQC), un ensemble de protocoles permettant de créer des clés de chiffrement privées. Grâce à la DQC, deux parties qui souhaitent communiquer peuvent utiliser des systèmes quantiques pour produire des clés de chiffrement privées pour assurer la confidentialité des renseignements échangés entre elles. Étant donné la sensibilité et la complexité des systèmes quantiques, il est impossible de copier ou de cloner les clés, car les parties qui partagent des données sécurisées pourraient détecter les tentatives d’interception des clés.

Les capteurs quantiques [en anglais] exploitent les propriétés quantiques pour effectuer des mesures plus sensibles et plus précises que les capteurs classiques, ce qui pourrait ouvrir la voie à des avancées techniques, telles que la création de systèmes de navigation résistant au piratage des systèmes GPS, entre autres.

Répercussions potentielles

Cybersécurité

Les systèmes quantiques pourraient briser les systèmes de cryptographie actuels. Ces derniers reposent sur des échanges de clés de sécurité pour décrypter des données sécurisées. Les ordinateurs classiques ne disposent pas de la puissance nécessaire pour décrypter ces clés dans un délai raisonnable, mais les ordinateurs quantiques pourraient atteindre cette puissance, leur permettant ainsi de briser n’importe quelle clé de chiffrement publique et d’accéder à des données protégées par les technologies actuelles. Selon certains experts, ces systèmes quantiques pourraient être accessibles d’ici 2030.

Pour cette raison, des chercheurs s’emploient à renforcer les systèmes actuels de sécurité des données. Il faut comprendre que, d’après certains experts, les systèmes quantiques pourraient mener à une modification des codes actuels. Par conséquent, des chercheurs travaillent aussi au développement de systèmes quantiques permettant de sécuriser la transmission de données, notamment en utilisant la DQC. À la fin de 2022, le gouvernement américain a adopté la Quantum Computing Cybersecurity Preparedness Act [en anglais], qui reconnaît les risques que pose l’informatique quantique pour les codes actuels et qui exige la mise en place de mesures visant à sécuriser les systèmes informatiques aux États-Unis.

Économie et emploi

Les initiatives canadiennes en matière de technologies quantiques, notamment en informatique quantique, contribueront grandement à l’économie du Canada. La figure 3 montre des estimations des retombées économiques (y compris les effets indirects et induits) du développement des technologies quantiques au Canada au cours des prochaines décennies.

Figure 3 – Prévisions des retombées économiques de l’industrie des technologies quantiques au Canada

Montre les retombées économiques totales de l’industrie des technologies quantiques au Canada (y compris les effets indirects et induits) à l’horizon 2025 et 2045. Cette industrie devrait créer 1 100 emplois d’ici 2025 et 209 200 emplois d’ici 2045. Les retombées économiques de cette industrie devraient augmenter de 533 millions de dollars en 2025 à 138,9 milliards de dollars en 2045.

Source : Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir des données tirées de Innovation, Sciences et Développement économique Canada, Consultations sur la Stratégie quantique nationale : Ce que nous avons entendu.

La gestion des talents constitue un enjeu dans le développement de l’industrie quantique, tant sur le plan national qu’international. Dans un document publié dans le cadre des consultations publiques pour l’élaboration d’une stratégie quantique nationale, Innovation, Sciences et Développement économique Canada souligne que des efforts constants sont nécessaires pour constituer le bassin de talents nécessaire dans cette industrie.

Le manque de diversité de la main-d’œuvre dans le domaine des sciences naturelles et appliquées, et plus particulièrement dans celui des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques (STIM), représente également un enjeu au pays. Comme le montre la figure 4, les femmes occupent une proportion minoritaire des emplois dans les STIM.

Figure 4 – Groupes sélectionnés dans les professions en STIM et dans les professions liées aux STIM comparés à l’ensemble de la main-d’œuvre canadienne en 2021

Les femmes représentent 48 % de la main-d’œuvre canadienne, mais n’occupent que 24 % des emplois dans le domaine des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques (STIM). Les hommes issus des minorités visibles représentent 14 % de la main-d’œuvre canadienne et occupent 29 % des emplois dans le domaine des STIM et 10 % des emplois dans les domaines liés aux STIM. Les femmes issues des minorités visibles représentent 13 % de la main-d’œuvre canadienne; elles occupent 10 % des emplois dans le domaine des STIM et 14 % des emplois dans les domaines liés aux STIM.

Note : STIM désigne le domaine des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques.
Source : Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Statistique Canada, «Tableau 98-10-0454-01 : Profession (STIM et autre que STIM) selon les minorités visibles, le statut des générations, l’âge et le genre – Canada, provinces et territoires, régions métropolitaines de recensement et agglomérations de recensement y compris les parties», base de données, consultée le 30 janvier 2023.

À cela s’ajoute un autre enjeu connexe, comme l’illustre la figure 5 : les minorités visibles et les Autochtones employés dans le domaine des sciences naturelles et appliquées – notamment les femmes issues des minorités visibles et les femmes autochtones – ont des revenus d’emploi moyens inférieurs à ceux de l’ensemble de la population canadienne.

Figure 5 – Revenu d’emploi moyen dans le domaine des sciences naturelles et appliquées – groupes sélectionnés comparés à l’ensemble de la main-d’œuvre canadienne en 2015

Au Canada, en 2015, le revenu d’emploi annuel moyen dans le domaine des sciences naturelles et appliquées était de 73 365 $. Pour les minorités visibles, il était de 71 391 $ pour les hommes et de 60 545 $ pour les femmes. Pour les personnes s’identifiant comme autochtones, il était de 67 917 $ pour les hommes et de 54 471 $ pour les femmes.

Sources : Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Statistique Canada, « Profession – Classification nationale des professions (CNP) 2016 (691), statistiques du revenu d’emploi (3), plus haut certificat, diplôme ou grade (7), minorités visibles (15), travail pendant l’année de référence (4), âge (4D) et sexe (3) pour la population âgée de 15 ans et plus ayant travaillé en 2015 et ayant déclaré un revenu d’emploi en 2015, dans les ménages privés du Canada, provinces et territoires et régions métropolitaines de recensement, Recensement de 2016 – Données-échantillon (25 %) », Tableau de données, Recensement de 2016, base de données, consultée le 30 janvier 2023; et de Statistique Canada, «Profession – Classification nationale des professions (CNP) 2016 (691), statistiques du revenu d’emploi (3), plus haut certificat, diplôme ou grade (7), identité autochtone (9), travail pendant l’année de référence (4), âge (4D) et sexe (3) pour la population âgée de 15 ans et plus ayant travaillé en 2015 et ayant déclaré un revenu d’emploi en 2015, dans les ménages privés du Canada, provinces et territoires et régions métropolitaines de recensement, Recensement de 2016 – Données-échantillon (25 %) », Tableau de données, Recensement de 2016, base de données, consultée le 30 janvier 2023.

Initiatives gouvernementales au Canada et dans le monde

Plusieurs pays investissent dans le développement des technologies quantiques. La figure 6 donne un aperçu de ces investissements dans certains pays.

Figure 6 – Recherche quantique dans certains pays

Le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni, certains pays de l’Union européenne, la Chine et l’Australie disposent de stratégies quantiques nationales. Tous ces pays, sauf l’Australie, disposent également de programmes quantiques régionaux. Le Canada investit 621 millions de dollars canadiens dans l’industrie quantique. Le budget de 2021 allouait 360 millions de dollars canadiens sur sept ans à partir de 2021 2022 pour mettre en œuvre une stratégie quantique nationale. Les États-Unis ont annoncé allouer plus de 1,9 milliard de dollars américains au financement de l’industrie quantique. La National Quantum Initiative Act autorise des dépenses à hauteur de 1,275 milliard de dollars américains pour soutenir divers organismes. Le Royaume-Uni a alloué plus d’un milliard de dollars américains à l’industrie quantique. Entre 2014 et 2019, il a octroyé 540 millions de dollars américains pour le lancement du programme national sur les technologies quantiques. L’Union européenne a accordé plus d’un milliard de dollars américains à l’industrie quantique. Entre 2018 et 2021, le programme Quantum Flagship, qui regroupe de nombreux projets dans divers secteurs et dans plusieurs pays d’Europe, s’est vu attribuer 181 millions de dollars américains. La Chine investira plus de 15 milliards de dollars américains dans l’industrie quantique, notamment dans la création d’un laboratoire quantique national. L’Australie a consacré 121 millions de dollars américains à l’industrie quantique. Entre 2017 et 2024, le Conseil de recherche de l’Australie aura investi près de 100 millions de dollars américains dans trois centres d’excellence consacrés à la recherche quantique.

Source : Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Johnny Kung et Muriam Fancy, Une révolution quantique : Rapport sur les politiques mondiales en matière de technologies quantiques, Canadian Institute for Advanced Research, avril 2021.

En plus des initiatives présentées à la figure 6, plusieurs projets axés sur la recherche quantique ont été lancés au Canada dans les dernières années, notamment :

  • Plusieurs universités canadiennes ont mis sur pied des instituts de recherche quantique et leurs travaux sont reconnus internationalement, notamment l’Université de Calgary, l’Université de l’Alberta, l’Université de Toronto, l’Université de Waterloo et l’Université de Sherbrooke.
  • Plusieurs entreprises pionnières en informatique quantique sont établies au Canada, notamment D-Wave, 1QBit, Agnostiq, Anyon, IBM, Intel, Multiverse Computing et Xanadu.
  • Depuis 2017, l’Agence spatiale canadienne collabore avec l’Institut pour l’ordinateur quantique de l’Université de Waterloo et l’entreprise Honeywell à la mission Quantum Encryption and Science Satellite qui vise à faire la démonstration de la DQC dans l’espace. En 2019, l’Agence a octroyé 23,5 millions de dollars à l’entreprise Honeywell pour ce projet.
  • Le Conseil national de recherches du Canada, Recherche et développement pour la défense Canada et le Centre de la sécurité des télécommunications ont créé le Centre d’accès à la technologie de sécurité quantique pour coordonner et renforcer les initiatives internes du gouvernement en matière de recherche quantique.
  • En septembre 2022, le Comité permanent de l’industrie et de la technologie de la Chambre des communes a déposé un rapport sur l’informatique quantique dans lequel il propose 11 recommandations pour maintenir le rôle de chef de file du Canada dans ce domaine.

Conclusion

Le développement des technologies quantiques est en plein essor et le Canada fait d’ores et déjà figure de proue dans le domaine. Compte tenu des possibilités et des enjeux liés au développement de ces technologies, il est fort probable que le Parlement du Canada voudra continuer à surveiller de près leur évolution, tant au pays qu’à l’étranger.

Par Sarah Lemelin-Bellerose, Bibliothèque du Parlement



Catégories :Industrie, entreprises et commerce, Science et technologie

Tags:, , , , ,

%d blogueurs aiment cette page :