Les énoncés de politique de défense du Canada : changement et continuité

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En juin 2017, le gouvernement du Canada a rendu publique sa toute dernière politique en matière de défense, intitulée Protection, Sécurité, Engagement : La politique de défense du Canada (la politique PSE). Cette politique définit les priorités du Canada en matière de défense pour une période de 20 ans. Dans le cadre du budget fédéral de 2022, le gouvernement a annoncé qu’il procéderait à un examen de la politique de défense dans le but de mettre à jour la politique PSE.

La présente Note de la Colline donne un aperçu des énoncés de politique de défense des 60 dernières années. Elle décrit également l’approche utilisée par certains alliés du Canada pour examiner leur politique de défense, et traite de la politique PSE dans le contexte changeant de sécurité national et international depuis 2017.

Protection, Sécurité, Engagement

En juillet 2016, le gouvernement du Canada a lancé un examen de la politique de défense, dans le cadre duquel il a consulté la population canadienne, les spécialistes de la défense, les parlementaires et certains alliés. Ce processus a mené à la politique PSE.

La politique PSE expose une « vision pour la défense » qui vise à « assurer la protection du Canada, la sécurité en Amérique du Nord et l’engagement dans le monde ». L’énoncé décrit les huit missions principales des Forces armées canadiennes (FAC) et prévoit 111 engagements. Entre autres, le gouvernement s’engage à faire passer les dépenses annuelles pour la défense de 18,9 milliards de dollars en 2016-2017 à 32,7 milliards de dollars en 2026-2027.

Comparativement aux énoncés de politique de défense précédents, la politique PSE met davantage l’accent sur les questions relatives au personnel. Le premier chapitre s’intitule « Des gens et des familles résilients, bien soutenus et reflétant la diversité canadienne » et porte une attention particulière à l’analyse comparative entre les sexes Plus. D’ailleurs, les universitaires Meaghan Shoemaker et Stéfanie von Hlatky notent que cet accent est représentatif de l’intégration progressive de la dimension de genre [en anglais] dans la politique de défense.

Énoncés de politique de défense canadienne antérieurs

Le premier énoncé de politique de défense moderne du Canada a été publié en 1964. Il annonçait le regroupement de l’armée, de la marine et de l’aviation en une seule force : les FAC.

Depuis, sept autres énoncés de politique de défense – parfois appelés « livres blancs » – ont été publiés, comme illustré dans le tableau 1.

Tableau 1 – Énoncés de politique de défense au Canada depuis 1964

Année Énoncé Premier ministre Ministre de la Défense nationale
1964 Livre blanc sur la défense Lester B. Pearson Paul Hellyer
Lucien Cardin (ministre associé)
1971 La défense dans les années 70 : Livre blanc sur la politique de défense Pierre Elliott Trudeau Donald S. Macdonald
1987 Défis et engagements : Une politique de défense pour le Canada Brian Mulroney Perrin Beaty
1992 La politique de défense du Canada Brian Mulroney Marcel Masse
1994 Le livre blanc sur la défense de 1994 Jean Chrétien David Collenette
2005 Fierté et influence : notre rôle dans le monde – Défense Paul Martin Bill Graham
2008 Stratégie de défense : Le Canada d’abord Stephen Harper Peter MacKay
2017 Protection, Sécurité, Engagement : La politique de défense du Canada Justin Trudeau Harjit Sajjan

Dans un ouvrage portant sur l’approvisionnement en matière de défense au Canada, l’universitaire Kim Richard Nossal explique que les énoncés de politique de défense du Canada coïncident habituellement avec l’élection d’un nouveau gouvernement fédéral et pas nécessairement avec un changement dans le contexte de sécurité international.

M. Nossal soutient que ces énoncés ont pour but de justifier les dépenses pour la défense en expliquant aux citoyens l’approche du gouvernement fédéral à l’égard des questions géostratégiques. Par ailleurs, ces énoncés envoient un message aux alliés – et aux adversaires potentiels – au sujet de l’orientation future des capacités militaires du Canada.

Aucune loi canadienne n’exige la tenue d’un examen de la politique de défense ou la publication d’un énoncé de politique de défense. De tels documents n’ont aucune valeur juridique et n’autorisent pas les dépenses.

De plus, au Canada, il n’existe pas de pratique type quant à la manière dont les examens sont menés. Par exemple, l’énoncé de politique de défense de 1994 tenait compte des conclusions d’un comité parlementaire mixte spécial créé pour étudier la politique de défense. Or, d’autres méthodes ont été adoptées pour consulter les parlementaires lors d’examens ultérieurs de la politique de défense.

Approches de certains pays en matière d’examen de la politique de défense

L’approche canadienne en matière d’examen de la politique de défense diffère à certains égards de celle adoptée par certains alliés, notamment – au nombre des différents exemples possible – les États-Unis et le Royaume-Uni.

Aux États-Unis, le secrétaire à la Défense est tenu par la loi de procéder à un examen de la stratégie de défense nationale [en anglais] du pays tous les quatre ans.

En revanche, à l’instar du Canada, le Royaume-Uni n’a pas de loi exigeant la tenue d’un examen de la politique de défense [en anglais] et publie des énoncés de politique de défense à intervalles irréguliers depuis la Seconde Guerre mondiale. Le plus récent, soit l’examen intégré [en anglais] de la politique étrangère, de sécurité, de la défense et de développement, a eu lieu en 2021. Cet examen contraste avec l’approche du Canada, qui consiste à examiner ces domaines séparément.

Les énoncés de politique de défense du Canada dans un contexte de sécurité changeant

L’énoncé de politique de défense du Canada de 1987 offre un exemple de l’effet de l’évolution du cadre de sécurité internationale sur la longévité d’un tel document. Dans le contexte de la Guerre froide, l’énoncé préconisait que l’on « adopte une façon plus sobre d’aborder les relations internationales et les exigences de la politique en matière de sécurité ». L’un des engagements prévus était l’achat de 10 à 12 sous‑marins à propulsion nucléaire. Cependant, la fin de la Guerre froide et les pressions budgétaires ont fait que de nombreux engagements n’ont pas été mis en œuvre, et le gouvernement fédéral a annulé l’achat de sous-marins en 1989.

Les énoncés de politique de défense qui ont suivi ont élargi la portée géographique des intérêts du Canada en matière de sécurité. Alors que l’énoncé de 1987 affirmait que « la politique du Canada en matière de sécurité doit être définie en fonction d’un contexte international qui se caractérise par la rivalité entre l’Est et l’Ouest », l’énoncé de 1994 décrivait un « monde fragmenté et plein d’imprévu, où la guerre, la répression et le chaos côtoient la paix, la démocratie et une prospérité relative ».

Les énoncés de politique de défense de 2005 et 2008 ont été publiés pendant l’engagement militaire du Canada en Afghanistan. Le premier mettait l’accent sur « l’adoption d’une vision audacieuse qui permettra aux Forces canadiennes d’intervenir compte tenu du climat mondial de plus en plus incertain », tandis que le second portait une attention particulière à la nécessité de « rebâtir les Forces canadiennes ».

Malgré l’évolution du contexte de sécurité, de nombreux thèmes reviennent constamment dans les énoncés de politique de défense du Canada. C’est le cas notamment de priorités telles que la protection du Canada, la défense de l’Amérique du Nord en partenariat avec les États-Unis et la contribution à la sécurité internationale par l’entremise de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et des opérations de maintien de la paix des Nations Unies. Les énoncés contiennent aussi généralement des engagements touchant la gestion et la structure des FAC.

Protection, Sécurité, Engagement et le contexte moderne dans lequel s’inscrit la politique de défense

L’évolution rapide du contexte de sécurité international découlant de la toute récente invasion de l’Ukraine par la Russie a incité le gouvernement fédéral à déclarer qu’il devait procéder à un examen de la politique PSE. Selon le sous-ministre de la Défense nationale Bill Matthews, « toute mise à jour de l’environnement de la menace est un élément clé de la mise à jour de la politique ». Dans son budget de 2022, le gouvernement déclare que l’invasion a « fondamentalement changé » le monde et affirme qu’« en raison des événements récents, le gouvernement doit réévaluer le rôle, les priorités et les besoins du Canada dans un monde en évolution ».

De plus, lors d’une conférence tenue en mai 2022 [en anglais], la ministre de la Défense nationale, Anita Anand, a indiqué que le recrutement, le maintien des effectifs et le bien-être du personnel des FAC – y compris des efforts ciblés sur le changement de culture au sein des FAC – figureraient parmi les priorités fixées pour cet examen.

Selon certains observateurs, la politique PSE continue d’offrir une base adéquate [en anglais] en réponse au contexte de sécurité international actuel, car elle tient compte de la résurgence de la concurrence entre les grandes puissances et de la nécessité de s’adapter à un contexte de sécurité qui évolue rapidement. En revanche, d’autres commentateurs affirment que la politique PSE doit être réexaminée [en anglais], précisant qu’un examen périodique des énoncés de politique de défense permettrait à la fois de fournir une évaluation actualisée du contexte de sécurité et de déterminer comment faire face aux enjeux de sécurité qui y sont associés.

Conclusion

Bien que le gouvernement fédéral n’ait pas fourni d’échéancier pour mener à bien l’examen actuel de la politique de défense, la ministre Anand a indiqué, en juin 2022, que le ministère de la Défense nationale mènera une « mise à jour rapide […] au cours des prochains mois ».

Ressources supplémentaires

Chapnick Adam, et J. Craig Stone. « From Policy and Strategy to Outcomes », dans Juneau, Thomas, Philippe Lagassé, et Srdjan Vucetic, dir. Canadian Defence Policy in Theory and Practice, 1er septembre 2019.

Duval-Lantoine, Charlotte. « People First: Rethinking Personnel Policy», Policy Perspective. Institut canadien des affaires mondiales, mai 2022 [en anglais].

Lang, Eugene. « The shelf life of defence White Papers», Options politiques, 23 juin 2017 [en anglais].

Nossal, Kim Richard. Charlie Foxtrot : Fixing Defence Procurement in Canada, 2016.

Perry, David. « Strong, Secure, Engaged: A Two-Year Review», Policy Perspective. Institut canadien des affaires mondiales, mai 2019 [en anglais].

Rodman, Lindsay. « You’ve Got it All Backwards: Canada’s National Defence Strategy», dans Juneau, Thomas, Philippe Lagassé, et Srdjan Vucetic, dir. Canadian Defence Policy in Theory and Practice, 1er septembre 2019.

Rossignol, Michel. Examen de la Politique de défense, Bibliothèque du Parlement, 4 février 1994.

Vucetic, Srdjan et al. A Comparative Analysis of Defence Review Papers: Australia, France and the United Kingdom. Document de travail du CÉPI, Centre d’études en politiques internationales, Université d’Ottawa, avril 2017 [en anglais].

 

Par Ariel Shapiro et Anne-Marie Therrien-Tremblay



Catégories :Affaires internationales et défense, Gouvernement, Parlement et politique

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