Le 1er juillet 2022 marque le deuxième anniversaire de l’entrée en vigueur de l’Accord Canada–États‑Unis–Mexique (ACEUM). L’ACEUM a remplacé l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) qui était en vigueur depuis 1994.
L’ACEUM prévoit trois mécanismes de règlement des différends, lesquels sont énoncés aux chapitres suivants :
- chapitre 10 – examen binational des mesures antidumping et compensatoires;
- chapitre 14 – règlement des différends entre un investisseur et un État;
- chapitre 31 – règlement des différends entre les États.
La présente Note de la Colline porte sur le chapitre 31, à savoir le chapitre duquel sont susceptibles de relever la plupart des différends sur l’interprétation ou l’application des obligations découlant de l’ACEUM. Elle s’ouvre sur un aperçu des options offertes à la partie plaignante et à la partie défenderesse pour régler les différends : consultations, médiation ou groupe spécial de règlement des différends.
La Note de la Colline résume ensuite les différends relevant du chapitre 31 qui sont survenus jusqu’à ce jour, puis présente quelques différences entre le mécanisme prévu dans ce chapitre et le chapitre 20 de l’ALENA dans lequel était énoncé le mécanisme de règlement des différends entre États.
Consultations
La partie plaignante peut demander des consultations avec la partie défenderesse si elle juge que cette dernière a agi, selon le cas :
- d’une manière qui est incompatible avec une obligation découlant de l’ACEUM;
- d’une manière qui « annule ou compromet » un avantage en vertu de l’ACEUM.
Ces consultations doivent se dérouler dans un délai de 15 jours si le différend porte sur des produits périssables, ou dans un délai de 30 jours pour toutes autres questions.
Médiation
À tout moment, les parties contestantes peuvent entreprendre une médiation pour tenter de régler leur différend, et ce, même si un groupe spécial s’affaire à examiner le différend en question.
Groupe spécial de règlement des différends
Si les consultations ne permettent pas d’en arriver à un règlement mutuellement acceptable, la partie plaignante ou la partie défenderesse peut demander l’institution d’un groupe spécial de règlement des différends. La troisième partie à l’ACEUM peut se joindre à la procédure en tant que partie plaignante à l’approche du début du processus d’examen par le groupe spécial.
Un groupe spécial est habituellement composé de cinq membres, mais les parties contestantes peuvent consentir à ce qu’il n’y en ait que trois. Les parties nomment la personne qui assurera la présidence du groupe spécial ainsi que les autres membres du groupe, et ce, à partir d’une liste sur laquelle figurent jusqu’à 10 personnes proposées par chacune des parties à l’ACEUM.
Certains délais s’imposent, notamment pour ce qui est de la tenue de l’audience, de la présentation des rapports initial et final du groupe spécial, de la production des communications par les parties contestantes et, possiblement, de la dernière tentative des parties pour régler leur différend.
Par exemple, dans les cinq jours suivant la nomination du dernier membre, le groupe spécial doit présenter le calendrier de ses travaux. De plus, au plus tard 150 jours suivant la nomination du dernier membre, le groupe spécial doit présenter son rapport initial aux parties contestantes.
Les parties contestantes disposent ensuite de 15 jours, ou d’un autre délai déterminé mutuellement, pour présenter des observations écrites au groupe spécial au sujet du rapport initial. Le groupe spécial dispose généralement de 30 jours après avoir présenté son rapport initial pour soumettre son rapport final.
Les rapports initial et final du groupe spécial énoncent les constatations et les déterminations, ainsi que les justifications connexes. Ces rapports peuvent contenir des recommandations en vue du règlement du différend. Le rapport final peut également présenter l’opinion des membres sur les questions qui ne faisaient pas l’unanimité.
Si, dans son rapport final, le groupe spécial conclut que la partie défenderesse a manqué à ses obligations en vertu de l’ACEUM, les parties contestantes disposent de 45 jours après la réception du rapport pour régler leur différend. Si elles n’y parviennent pas dans les délais impartis, la partie plaignante peut suspendre certains des avantages qu’elle accorde à la partie défenderesse en vertu de l’ACEUM.
Différends survenus jusqu’à maintenant
À ce jour, 11 différends sont survenus dans le cadre de l’ACEUM et trois de ces différends relevaient du chapitre 31. L’objet de chacun de ces différends est illustré à la figure 1.
Figure 1 – Objets des différends relevant du chapitre 31 de l’Accord Canada–États‑Unis–Mexique (en date du 7 juillet 2022)
Source : Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Le Secrétariat : Canada–Mexique–États‑Unis, « Chapitre 31 », Différend de l’ACEUM.
Comme il est précisé dans le tableau 1, le Canada a été ou est une partie plaignante ou une partie défenderesse dans ces trois différends.
Tableau 1 – Résumé des différends relevant du chapitre 31 de l’Accord Canada–États‑Unis–Mexique (en date du 7 juillet 2022)
Différend | Parties | Résumé | Chronologie | Décision |
Mesures d’attribution des contingents tarifaires laitiers | Partie plaignante : États‑UnisPartie défenderesse : Canada |
Les États‑Unis ont demandé à savoir si le Canada avait contrevenu à l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) en attribuant un pourcentage exclusif des volumes de contingents tarifaires canadiens aux transformateurs laitiers pour certains produits laitiers. | Demande d’institution d’un groupe spécial : 25 mai 2021
Rapport final : 20 décembre 2021 |
Le groupe spécial a conclu que le Canada a contrevenu à l’ACEUM [en anglais], mais qu’il peut conserver ses systèmes de gestion de l’offre. |
Mesures de sauvegarde concernant certaines cellules photovoltaïques à base de silicium cristallin | Partie plaignante : CanadaPartie défenderesse : États‑Unis |
Le Canada a demandé à savoir si les États‑Unis avaient contrevenu à l’ACEUM en appliquant des mesures de sauvegarde à certaines cellules photovoltaïques canadiennes. | Demande d’institution d’un groupe spécial : 18 juin 2021Rapport final : 15 février 2022 |
Le groupe spécial a conclu que les États‑Unis ont contrevenu à l’ACEUM [en anglais].
Le 7 juillet 2022, les États-Unis ont décidé d’éliminer les mesures de sauvegarde. |
Règles d’origine véhicules automobiles | Parties plaignantes : Mexique et CanadaPartie défenderesse : États‑UnisLe Canada s’est joint au Mexique à titre de partie plaignante le 13 janvier 2022. |
Le Mexique a demandé à savoir si les États‑Unis avaient contrevenu à l’ACEUM en omettant d’inclure une partie de la valeur d’une pièce pour véhicule automobile d’origine « centrale » dans la teneur en valeur régionale estimée des véhicules et d’autres pièces contenant cette pièce d’origine.
|
Demande d’institution d’un groupe spécial : 6 janvier 2022
Rapport final : date inconnue |
Le processus de règlement du différend est en cours, mais le groupe spécial pourrait présenter son rapport initial [en anglais], en septembre 2022. |
Source : Tableau préparé par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Le Secrétariat : Canada–Mexique–États‑Unis, « Chapitre 31 », Différend de l’ACEUM.
Quelques différences
Contrairement au mécanisme de règlement des différends qui était en vigueur en vertu du chapitre 20 de l’ALENA, le mécanisme décrit au chapitre 31 de l’ACEUM est assorti de dispositions qui pourraient faciliter la désignation des membres potentiels et la nomination des membres du groupe spécial, ainsi que la participation d’entités non gouvernementales à l’instance. Ce mécanisme prévoit en outre l’obligation de présenter les documents relatifs au différend par des moyens électroniques.
Dans le cadre de certains différends relevant du chapitre 20 de l’ALENA, les parties contestantes avaient bloqué la nomination de membres du groupe spécial en ne participant pas à une réunion de la commission de l’ALENA chargée d’approuver les membres ou en s’opposant à la mise à jour de la liste de membres potentiels. Selon David A. Gantez, professeur émérite de l’Université de l’Arizona [en anglais], le Canada et le Mexique s’en remettaient exclusivement au mécanisme de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour régler leur différend compte tenu de la difficulté associée à l’instauration d’un groupe spécial en vertu du chapitre 20 de l’ALENA.
Contrairement au chapitre 20 de l’ALENA, le chapitre 31 de l’ACEUM prévoit des dispositions pour la désignation de membres potentiels qualifiés et la nomination des membres du groupe spécial lorsque les trois parties à l’ACEUM n’arrivent pas à s’entendre au sujet de certaines personnes.
En outre, si le chapitre 20 de l’ALENA n’autorisait pas la participation d’entités non gouvernementales dans le cadre d’une procédure de règlement de différends, le chapitre 31 de l’ACEUM permet au groupe spécial d’examiner les demandes de telles entités qui souhaitent présenter des observations écrites, dans la mesure où ces entités sont situées sur le territoire de l’une des parties contestantes. Par exemple, en juillet 2021, le groupe spécial chargé d’examiner le différend sur les produits laitiers entre le Canada et les États‑Unis a accepté la demande d’une entité non gouvernementale canadienne.
Enfin, contrairement au chapitre 20 de l’ALENA, le chapitre 31 de l’ACEUM exige que tous les documents relatifs au différend soient présentés par des moyens électroniques.
Conclusion
Entre le 1er janvier 1994 et le 30 juin 2020, l’ALENA a régi les échanges commerciaux entre le Canada, les États‑Unis et le Mexique. Pendant cette période, trois groupes spéciaux de règlement des différends ont été institués en vertu du chapitre 20 – tous au cours des six premières années qui ont suivi l’entrée en vigueur de l’ALENA.
Dans les deux premières années de l’ACEUM, trois groupes spéciaux de règlement des différends ont été institués en vertu du chapitre 31. Le nombre total de différends entre États qui surviendront pendant les six premières années de l’ACEUM est évidemment encore inconnu.
En plus d’avoir une incidence encore indéterminée sur le nombre de différends relevant du chapitre 31 de l’ACEUM, les différences entre ce chapitre et le chapitre 20 de l’ALENA pourraient se traduire par un recours relativement moins fréquent au mécanisme de l’OMC par les parties contestantes pour régler les différends entre le Canada, les États‑Unis et le Mexique.
Ressources supplémentaires
Gouvernement du Canada. « Chapitre sur le règlement des différends entre les États », Accord Canada–États‑Unis–Mexique.
Hart, Nina M. USMCA: A Legal Interpretation of the Panel-Formation Provisions and the Question of Panel Blocking, U.S. Congressional Research Service, 30 janvier 2020 [en anglais].
Lester, Simon, Inu Manak et Andrej Arpas. « Access to Trade Justice: Fixing NAFTA’s Flawed State-to-State Dispute Settlement Process », World Trade Review, vol. 18, no 1, 2019 [en anglais].
Pellerin, William et Philip Kariam. McMillan LLP’s CUSMA Dispute Settlement Scoreboard, McMillan Publications, 11 mars 2022 [en anglais].
VanDuzer, J. Anthony. « State-to-State Dispute Settlement Under the USMCA: Better than NAFTA? », Festchrift in Honour of Professor Stephen T. Zamora, 9 avril 2020 [en anglais].
Par Bashar Abu Taleb, Andrés León et Simon Richards, Bibliothèque du Parlement
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