Briller sous les projecteurs : le théâtre autochtone au Canada

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Le 21 juin, Journée nationale des peuples autochtones, des communautés canadiennes organisent des activités pour célébrer les cultures et les réalisations autochtones. Pour souligner l’occasion, la présente Note de la Colline offre un aperçu de l’histoire du théâtre autochtone, met en lumière la contribution des dramaturges autochtones et renseigne sur l’établissement de compagnies, de collectifs et d’organismes qui soutiennent le théâtre autochtone.

Aperçu du théâtre autochtone

Les récits autochtones, qui sont transmis de vive voix d’une génération à l’autre, sont ancrés dans les langues, les cultures et les terres. Les Premières Nations, les Métis et les Inuits dans ce qui est aujourd’hui le Canada mettent en scène leur histoire depuis longtemps, à leur façon, au moyen de cérémonies, de danses et de chants.

Les cultures autochtones ont été profondément marquées par les politiques adoptées par le gouvernement du Canada, notamment l’établissement des pensionnats indiens et l’interdiction des cérémonies culturelles des Premières Nations en vertu de la Loi sur les Indiens. Ces politiques étaient conçues pour détruire les peuples autochtones – pour effacer leurs cultures et leurs langues.

Les peuples autochtones ont été représentés dans les œuvres de dramaturges non autochtones pendant des années. L’interprète et éducatrice Carol Greyeyes, de la Nation crie de Muskeg Lake en Saskatchewan, a fait remarquer que depuis les années 1960 les artistes et les éducateurs autochtones « ont emprunté le mode d’expression artistique eurocentrique qu’est le théâtre ainsi que la manière dont il est enseigné dans les établissements traditionnels, et l’ont adapté [traduction] [en anglais] », notamment en y puisant des éléments et des idées, et en adaptant diverses techniques ou en en rejetant d’autres. Des compagnies et des écoles de théâtre autochtones ont également été établies pour soutenir le théâtre autochtone.

En général, le théâtre autochtone se veut une expérience multidisciplinaire [en anglais] regroupant le théâtre, la danse, le chant ou le multimédia. Il plonge ses racines dans les cultures autochtones et incorpore des éléments des pratiques théâtrales européennes. De nos jours, les artistes des Premières Nations, inuits et métis racontent leurs propres histoires sur la scène, et mettent en valeur la force et la résilience des peuples et des communautés autochtones. Le théâtre représente un moyen pour les artistes autochtones de revitaliser leurs cultures et leurs langues, de les transmettre aux générations futures, de remettre en question ce qui a été raconté auparavant à propos des peuples autochtones et de guérir les blessures du passé.

Contribution des dramaturges autochtones

Des rapports ont évoqué certains moments marquants de l’histoire du théâtre autochtone, comme, à la fin des années 1970, la production de la pièce October Stranger [en anglais], œuvre d’un dramaturge ojibwé, George Kenny, et d’un dramaturge cri des plaines, Denis Lacroix. Selon un rapport de 2005, le théâtre autochtone « a réellement pris vie [traduction] » avec la production, en 1982, de la pièce The Rez Sisters de Tomson Highway, qui a été présentée à travers le Canada et à l’étranger.

Les exemples de pièces composées par des auteurs des Premières Nations, inuits et métis abondent aujourd’hui :

  • Agokwe [en anglais], par Waawaate Fobister [en anglais] (Anishinaabe de la Première Nation de Grassy Narrows), sonde un amour non partagé entre garçons adolescents de deux réserves de Premières Nations.

Image tirée de la pièce Agokwe, créée et interprétée par Waawaate Fobister. Source : Marc J. Chalifoux, Marc J Chalifoux Photography [en anglais].

  • Tumit [en anglais], par Reneltta Arluk (Inuvialuite, Crie et Dénée des Territoires du Nord‑Ouest), emploie les styles de récits contemporain et traditionnel pour examiner les relations familiales et les cycles générationnels. Reneltta Arluk est aussi la fondatrice de l’Akpik Theatre [en anglais], la seule compagnie de théâtre autochtone professionnelle des Territoires du Nord-Ouest.
  • The Third Colour [en anglais], par Ian Ross (Métis/Ojibwé), traite de l’histoire du Canada dans une perspective autochtone.
  • L’enclos de Wabush, par Louis-Karl Picard-Sioui (Wendat), raconte comment Pierre Wabush, de la réserve imaginaire de Kitchike, qui est devenu un paria après avoir fait éclater un scandale exposant la corruption du chef de la communauté, est entraîné dans une quête mystique et initiatique.

Photos tirées de L’enclos de Wabush. Source : photos de Marlène Gélineau Payette, Ondinnok, L’enclos de Wabush.

Compagnies et collectifs qui soutiennent le théâtre autochtone

Plusieurs compagnies théâtrales, collectifs d’artistes et organismes soutiennent le théâtre autochtone partout au Canada :

  • Native Earth Performing Arts [en anglais], fondée en 1982 et établie à Toronto, est la plus ancienne compagnie de théâtre autochtone professionnelle au pays. Elle a monté des œuvres par des artistes comme Tomson Highway, Drew Hayden Taylor et Margo Kane. Chaque année, son festival Weesageechak Begins to Dance [en anglais] met en vedette de nouvelles œuvres autochtones pour les arts de la scène, ainsi que des œuvres en cours de production.
  • Ondinnok, fondée à Montréal en 1985 par les professionnels du théâtre Yves Sioui Durand, Catherine Joncas et John Blondin, est la première compagnie de théâtre autochtone francophone au Canada. Elle a monté sa plus récente production, Toqaq Mecimi Puwiht / Delphine rêve toujours, en collaboration avec le Théâtre de la Vieille 17, une compagnie de théâtre de langue française à Ottawa.

Illustration pour la co-production de Toqaq Mecimi Puwiht / Delphine rêve toujours. Source : Catherine Boivin, Ondinnok, Toqaq Mecimi Puwiht / Delphine rêve toujours.

  • Debajehmujig [en anglais] est la première et la seule compagnie de théâtre professionnelle située dans une réserve des Premières Nations au Canada. Elle a été fondée en 1984 par les artistes Shirlee Cheechoo (Crie) et Blake Debassige (Ojibwé), entre autres. Elle est aujourd’hui installée dans la réserve non cédée de Wikwemikong et crée des œuvres inspirées de la vision du monde de la Nation anishnaabeg/chippewa. La compagnie appuie également le développement d’artistes des Premières Nations et dirige un centre multidisciplinaire à Manitowaning, en Ontario.
  • Artcirq est un collectif d’interprètes inuits qui a vu le jour à Igloolik à la fin des années 1990, dans la foulée du suicide de deux adolescents de la communauté. Le collectif offre des ateliers aux jeunes Inuits. Artcirq a plusieurs productions scéniques à son actif, dont Unikkaaqtuat, un spectacle interculturel mariant le théâtre, les arts du cirque, la musique et la vidéo.
  • La compagnie théâtrale Aaqsiiq est un organisme sans but lucratif créé au Nunavik en 2019. La compagnie a monté trois pièces et donné des ateliers dans des écoles et des centres jeunesse partout au Nunavik.
  • La société de production Urban Ink [en anglais] est une compagnie de théâtre autochtone et multiculturel établie à Vancouver; elle a été fondée en 2001 par l’artiste métisse Marie Clements. La compagnie a mis en scène de nombreuses œuvres et travaille actuellement avec des artistes à la création de plusieurs productions [en anglais].
  • Alberta Aboriginal Arts [en anglais] est un organisme des arts de la scène et du théâtre autochtones établi à Edmonton. Fondé en 2009 par le professionnel du théâtre Ryan Cunningham, qui est cri, et l’artiste métisse/crie Christine Sokaymoh Frederick, cet organisme monte des spectacles qui rassemblent des artistes de diverses disciplines et de différentes cultures autochtones.

Le Canada compte aussi le premier département de théâtre autochtone au monde : le Théâtre autochtone du Centre national des arts (CNA). La saison inaugurale du Théâtre autochtone du CNA a eu lieu en 2019-2020. Elle s’est ouverte par Mòshkamo : Le réveil des arts autochtones, un festival regroupant plus de 100 représentations en musique, en théâtre et en danse. La pièce de Samanqani Cocahq (Natalie Sappier) de la Première Nation de Tobique intitulée Finding Wolastoq Voice ‑ le récit « d’une jeune femme wolastoq (malécite) qui est réveillée par les voix de ses ancêtres » ‑ a fait partie des moments forts de ce festival.

Formation des futurs professionnels du théâtre autochtone

Il existe aussi des établissements et des organismes autochtones voués à la formation de professionnels du théâtre autochtones. En 1974, la Native Theatre School (École de théâtre autochtone) accueillait les gens de théâtre et les artistes de la scène autochtones à Toronto. Au début, l’école offrait un programme autonome de quatre semaines. Elle a pris de l’expansion par la suite pour devenir le Centre for Indigenous Theatre [en anglais]. Le Centre propose à l’heure actuelle un programme postsecondaire de trois ans en art dramatique axé sur les enseignements, les savoirs et les perspectives autochtones.

Dans certains cas, les activités de formation sont données par des compagnies de théâtre ou des collectifs d’artistes autochtones. De 2002 à 2010, par exemple, la compagnie théâtrale Ondinnok a fondé et dirigé un programme de formation intensive en théâtre pour les Autochtones – une première au Québec. La société des arts de la scène du Nunavut, Qaggiavuut!, [en anglais] coordonne et administre la Qaggiq School of Performing Arts, qui a créé une série de programmes d’arts de la scène pour les enfants et les jeunes du Nunavut, ainsi que des programmes à l’intention d’artistes de la scène, en herbe et établis, dans l’Arctique. En 2021, la société, en partenariat avec le Alianait Arts Festival et Tukisigiarvik, a organisé un festival des arts et de la culture en plein air [en anglais] dans un qaggiq (iglou) de 700 pieds carrés. Le festival a réuni des artistes de la scène inuits des quatre coins du Nunavut pour des spectacles, des résidences (conçues pour permettre aux artistes de créer ou de peaufiner des œuvres en studio) et des programmes pour enfants.

Photos du Qaggiq 2021, festival des arts et de la culture en plein air, présenté par Qaggiavuut! en partenariat avec le Alianait Arts Festival et Tukisigiarvik. Source : Qaggiavuut!, Qaggiq 2021. [en anglais].

Des universités canadiennes offrent aussi des activités de formation. À titre d’exemple, l’Université de la Saskatchewan offre le programme d’art dramatique wîcêhtowin [en anglais], qui s’adresse aux futurs acteurs, dramaturges et scénographes des Premières Nations, métis et inuits. Le programme couvre l’interprétation, la scénographie et la dramaturgie autochtone.

Par ailleurs, les résidences offrent aux artistes autochtones un lieu où créer des productions dramatiques. En 2022, par exemple, le Banff Centre for Arts and Creativity a tenu le Indigenous Playwrights Nest [en anglais], un programme de résidence de deux semaines visant à favoriser la création de nouvelles œuvres.

Grâce à ces initiatives, et à d’autres, les peuples autochtones cultivent une nouvelle génération de professionnels du théâtre autochtones qui pourront raconter leurs récits sur scène.

Ressources complémentaires

Primary Colours/Couleurs primaires. Looking at Indigenous Performing Arts on the Territory Known as Canada, janvier 2021.

Smith, Annie. « Indigenous Languages on Stage: A Roundtable Conversation with Five Indigenous Theatre Artists », Theatre Research in Canada, vol. 38, no 2, automne 2017 [en anglais].

Par Brittany Collier, Bibliothèque du Parlement



Catégories :Affaires autochtones, Arts, culture et divertissement

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