Captage, utilisation et stockage du carbone

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Le dioxyde de carbone (CO2), principal gaz à effet de serre généré par l’activité humaine, compte parmi les plus grands contributeurs aux changements climatiques. Une approche qui pourrait contribuer à réduire les émissions mondiales consiste à capturer une partie de ce gaz et à l’empêcher de se diffuser dans l’atmosphère.

C’est la nature qui capte la majeure partie du carbone en absorbant et en stockant le CO2 dans les forêts et les milieux humides, ainsi que dans le sol et dans les océans. Les humains peuvent souvent faciliter la gestion de ces processus naturels. Toutefois, les sociétés cherchent de plus en plus à capter le carbone à l’aide d’un nouvel ensemble d’outils : le captage, l’utilisation et le stockage du carbone ou CUSC.

Qu’est‑ce que le captage, l’utilisation et le stockage du carbone?

Cela fait référence à des technologies humaines qui permettent d’absorber le CO2 afin que le gaz puisse être utilisé ou stocké de façon permanente. La figure 1 illustre ce processus.

Figure 1 – Captage, utilisation et stockage de carbone

L’étape du captage consiste à recueillir le CO2 produit par des centrales électriques alimentées par des combustibles fossiles ou de la biomasse ou par des installations industrielles, ou encore celui qui se trouve directement dans l’air. Le CO2 comprimé est ensuite transporté par bateau ou par oléoduc du lieu de captage au lieu d’utilisation ou de stockage. Le CO2 peut être stocké de façon permanente dans des formations géologiques souterraines continentales ou extracôtières. Le CO2 capté peut aussi être utilisé comme intrant ou comme matière première pour créer des produits ou des services.

Source : Agence internationale de l’énergie, « What is CCUS? », About CCUS, rapport technologique, avril 2021 [traduction].

Il existe deux catégories de technologies de CUSC. Premièrement, il y a celles permettant de capter le CO2 à des sources ponctuelles où les combustibles fossiles sont brûlés afin de produire de l’énergie, comme des centrales électriques, des aciéries ou des installations de traitement du gaz naturel. Deuxièmement, il y a celles permettant de capter le gaz directement dans l’atmosphère selon une méthode d’extraction directe dans l’air [en anglais].

Le CO2 capté est pressurisé, puis acheminé vers des installations pour y être utilisé ou stocké.

Le CO2 peut être utilisé de nombreuses façons [en anglais]. Par exemple, il peut être transformé en produits chimiques ou en combustibles synthétiques, servir à fabriquer du plastique et des polymères, ou être utilisé pour renforcer le béton. Cependant, la majorité des projets de CUSC dans le monde utilisent le CO2 capté pour la récupération assistée des hydrocarbures (RAH). En injectant du CO2 dans des puits de pétrole anciens ou en déclin, les producteurs peuvent récupérer davantage d’hydrocarbures et, du même coup, stocker une grande partie du CO2 sous terre.

Toutefois, l’emploi du CO2 aux fins de RAH constitue l’un des défis associés à l’« utilisation » du carbone : bon nombre des utilisations du CO2 capté génèrent leurs propres émissions ou ne permettent pas d’empêcher le gaz de se propager dans l’atmosphère de façon permanente.

Pour éviter de générer des émissions supplémentaires, il est possible de stocker le CO2 plutôt que de l’utiliser. Dans la plupart des cas, pour stocker le carbone, il faut pressuriser le CO2 jusqu’à ce qu’il se liquéfie, puis l’injecter profondément sous terre.

Possibilités et obstacles

En tant qu’outils de lutte contre les changements climatiques, les technologies de CUSC présentent deux grands avantages.

Premièrement, le captage de carbone peut permettre de réduire les émissions quand leur élimination serait difficile ou extrêmement coûteuse. Parmi les émissions difficiles à éliminer, il y a celles émanant de processus industriels qui dépendent de chaleur générée par des combustibles fossiles, comme la fabrication de l’acier, et de processus chimiques qui libèrent du CO2, comme la production de ciment.

Deuxièmement, même si elles sont encore en cours de développement, certaines technologies de captage du carbone pourraient produire des « émissions négatives » en retirant du CO2 de l’atmosphère. En théorie, l’extraction directe dans l’air est l’une de ces technologies, et la bioénergie avec captage et stockage du carbone – ou BECSC – pourrait en être une autre. La BECSC consiste à brûler de la biomasse, à savoir de la matière organique qui absorbe le CO2, pour en tirer de l’énergie, puis à capter et à stocker le gaz généré par ce processus.

Pourtant, les technologies de CUSC se heurtent également à plusieurs obstacles.

Le plus important tient à une question d’échelle : aux quatre coins du globe, on ne capte pas assez de CO2. En effet, en 2021, les projets de CUSC ont permis de capter en tout 40 millions de tonnes de CO2, ce qui représente 0,1 % des émissions mondiales. Selon l’Agence internationale de l’énergie, si le monde veut atteindre la carboneutralité [en anglais] d’ici 2050, il doit capter 1,7 milliard de tonnes de CO2 par an d’ici 2030, et 7,6 milliards de tonnes annuellement d’ici le milieu du siècle.

Pour y arriver, il faudra faire d’importants investissements. Le captage du carbone est coûteux, surtout parce qu’il demande beaucoup de ressources et d’énergie. Ses coûts varient grandement, mais d’après une étude [en anglais] récente, le coût minimal des applications industrielles de captage du CO2 s’élève à 90 $ US la tonne. Certaines applications, comme la production d’hydrogène, sont moins coûteuses, alors que d’autres, telles que le captage du carbone provenant de l’acier, du ciment ou de l’extraction directe dans l’air, peuvent être deux ou trois fois plus chères.

À ce jour, la plupart des industries ont refusé d’assumer ces coûts sans l’aide des gouvernements ou sans système de tarification du carbone qui augmenterait la valeur du carbone.

Il y a d’autres obstacles. Par exemple, les projets de CUSC requièrent de vastes espaces, et certains pays n’ont pas les bonnes conditions géologiques pour le stockage du CO2. En outre, puisque les technologies de CUSC sont très énergivores et sont parfois utilisées pour créer des produits générant des émissions, certains projets pourraient produire indirectement plus d’émissions qu’ils n’en captent.

Par exemple, le contenu d’un baril de pétrole extrait à l’aide de ces technologies continuera de libérer des émissions une fois consumé. D’après certaines analyses, le pétrole contenu dans ce baril peut contribuer à réduire les émissions mondiales s’il « déplace » ou remplace des combustibles plus polluants. Toutefois, dans d’autres analyses [en anglais], on souligne qu’un baril de pétrole ne remplace pas forcément un autre combustible. Il pourrait au contraire contribuer à accroître la production et les émissions mondiales.

Les technologies de CUSC au Canada

Les projets canadiens de CUSC montrent bien ce mélange de possibilités et d’obstacles.

D’une part, le Canada compte plusieurs industries dont les émissions sont difficiles à réduire et qui pourraient utiliser les technologies de CUSC. Le captage de carbone peut permettre de réduire les émissions dans des segments du secteur du pétrole et du gaz, dans des industries établies, comme celles de l’acier et du ciment, et dans des industries naissantes, comme celles qui font du captage des émissions provenant de la transformation du gaz naturel en hydrogène.

La géographie du Canada joue également en sa faveur. Beaucoup de ses industries sont regroupées dans les mêmes zones, et dans le cas du pétrole et du gaz, elles sont reliées par des pipelines pouvant transporter le CO2. Certaines régions investissent dans des centres [en anglais] de CUSC qui pourraient recueillir du CO2 provenant de diverses sources et le stocker. Le Canada pourrait même explorer le concept de centres transfrontaliers [en anglais]. De plus, il possède les bonnes conditions géologiques, avec les formations rocheuses dans l’Ouest canadien, le sud de l’Ontario, le Saint‑Laurent et ailleurs, pouvant servir à stocker du CO2.

Jusqu’à présent, le Canada a joué un rôle de premier plan dans le développement de technologies de CUSC et leur mise en application. Aujourd’hui, 3 des 27 projets mondiaux de CUSC à grande échelle sont menés dans notre pays. Ces projets permettent de capter un total d’environ quatre millions de tonnes de CO2 par an, ce qui fait du Canada le deuxième pays où l’on capte le plus de carbone, après les États‑Unis.

Tableau 1 – Projets de CUSC à grande échelle menés au Canada

Projet Emplacement Capacité de captage du CO2 Source de CO2 Utilisation du CO2 Coût
Projet de pipeline principal de l’Alberta « Carbon Trunk Line » pour le captage et le stockage du carbone Alberta 1,6 Mt capté par an, avec une capacité de transport allant jusqu’à 14,6 Mt par pipeline Valorisation du bitume et production de fertilisants Récupération assistée des hydrocarbures (RAH) 1,2 milliard de dollars payés à 47 % par les gouvernements
Projet de la centrale électrique de Boundary Dam Saskatchewan Jusqu’à 1 Mt capté par an Production d’électricité à partir de charbon Surtout de la RAH, un peu de stockage souterrain 1,5 milliard de dollars payés en totalité par les gouvernements
Quest Alberta 1 Mt capté par an Valorisation du bitume Stockage souterrain 1,3 milliard de dollars payés à 67 % par les gouvernements

Remarque : « Mt » est l’abréviation de « mégatonne », une unité de masse valant un million de tonnes.
Les coûts indiqués sont ceux payés par les gouvernements fédéral et provinciaux.

L’Agence internationale de l’énergie considère le projet de Weyburn-Midale comme le quatrième projet « commercial » de CUSC au Canada. Ce projet ne figure toutefois pas dans ce tableau parce qu’il ne capte pas de carbone au Canada, parce qu’il ne reçoit plus activement du carbone capté et parce qu’il est d’une échelle différente des autres projets qui se trouvent dans ce tableau. Le gouvernement du Canada considère le projet de Weyburn-Midale comme un projet de recherche plutôt que comme un projet à grande échelle. Pour de plus amples renseignements, voir Gouvernement du Canada, Projet de surveillance et de stockage du CO2 du programme sur les gaz à effet de serre de l’Agence internationale de l’énergie à Weyburn-Midale.

Sources : Tableau préparé par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Gouvernement du Canada, Projet de l’Alberta Carbon Trunk Line; Gouvernement du Canada, Projet de démonstration du captage et du stockage de carbone intégré de Boundary Dam; et Gouvernement du Canada, Projet Quest de Shell Canada Energy.

D’autre part, les technologies de CUSC n’ont pas encore permis de réduire de façon marquée les émissions du Canada, même si d’autres projets sont prévus [en anglais]. Cependant, aucun projet majeur n’existe dans certains secteurs où de telles technologies pourraient pourtant s’avérer utiles, comme l’industrie lourde.

En théorie, les technologies de CUSC peuvent permettre le captage d’environ 90 % des émissions provenant de sources industrielles ponctuelles, et elles pourraient permettre de réduire jusqu’à 50 % l’intensité des émissions de l’industrie pétrolière et gazière en amont. Or, en pratique, ces technologies réalisent seulement une fraction de leur potentiel. Par exemple, le projet de la centrale électrique de Boundary Dam permet de capter seulement environ 65 % des émissions traitées.

Or, le captage de ces émissions a coûté très cher. La hausse du prix du carbone au Canada devrait entraîner une augmentation des investissements dans les technologies de CUSC, mais le captage du carbone demeure une entreprise coûteuse, et les gouvernements ont payé plus de 70 % du coût combiné des projets majeurs réalisés au pays.

Il y a d’ailleurs un consensus sur le fait que les gouvernements continueront à jouer un rôle clé dans le déploiement des technologies de CUSC. Le gouvernement fédéral semble être d’accord, puisqu’il s’est engagé à dépenser 319 millions de dollars dans la recherche et le développement en matière de technologies de CUSC, ce qui entraînera la création d’une stratégie fédérale de CUSC et l’instauration d’un crédit d’impôt à l’investissement pour les projets de CUSC. Son objectif est que le Canada capte 15 millions de tonnes de CO2 par an d’ici 2030.

Quand on réfléchit à la façon dont les projets de CUSC pourraient permettre d’atteindre cet objectif, il pourrait être utile de se poser les questions suivantes :

  • Combien d’émissions sont générées durant le cycle de vie du projet? Une analyse du cycle de vie permet d’évaluer si un projet de CUSC permet de réduire les émissions globalement, y compris les émissions attribuables à l’énergie consommée, à tout produit créé et à tout gaz stocké qui s’échappe.
  • Quel est le coût du captage d’une tonne de carbone? Évaluer le coût des projets de CUSC en fonction de la réduction des émissions qu’ils entraînent pourrait faciliter le choix des technologies et des stratégies qui offrent le meilleur rapport qualité-prix.
  • Les coûts peuvent‑ils être contrebalancés par l’atteinte d’autres objectifs? Le financement des projets de CUSC peut permettre d’atteindre d’autres objectifs, comme créer des technologies de captage pouvant réduire les émissions à l’étranger ou protéger des emplois et des collectivités.
  • Quels sont les incitatifs possibles? En plus de subventions et d’allégements fiscaux, les gouvernements pourraient envisager l’adoption de mesures réglementaires encourageant le développement de technologies de CUSC, par exemple la correction des lacunes du système canadien de tarification du carbone ou des ajustements à la frontière pour le carbone.
  • Quels sont les effets à long terme? Les décideurs peuvent réfléchir aux conséquences indirectes des investissements dans les projets de CUSC. Par exemple, est‑il possible que de tels projets favorisent la prolongation [en anglais] de l’exploitation d’industries à fortes émissions, compliquant ainsi l’atteinte des objectifs climatiques à long terme?

Ressources supplémentaires

Dion, Jason. Institut canadien pour des choix climatiques, L’adoption de politiques pourrait interférer avec la captation et le stockage du carbone, 15 juillet 2021.

Auteur : Ross Linden-Fraser, Bibliothèque du Parlement



Catégories :Agriculture, environnement, pêches et ressources naturelles

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