L’engagement dans le conflit en Afghanistan de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) pendant près de 20 ans a été sans précédent pour l’Alliance, tant par son origine que par son ampleur. À la suite de l’effondrement plus rapide que prévu du gouvernement et de l’appareil militaire afghans en août 2021, les ministres des Affaires étrangères des pays de l’OTAN ont affirmé qu’ils « mèneron[t] une réflexion exhaustive sur [leur] action en Afghanistan et en tireron[t] les enseignements nécessaires ».
Cette réflexion intéresse le Canada, en particulier parce que sa mission militaire en Afghanistan a constitué son plus important déploiement militaire depuis la Seconde Guerre mondiale et qu’il y a subi les pertes les plus importantes depuis la guerre de Corée. Cette mission était également étroitement imbriquée avec les autres aspects de la politique internationale du Canada, notamment la diplomatie et le développement. De plus, la réflexion qu’amorce l’Alliance sur la mise en œuvre de ses futures activités en dehors de sa sphère de responsabilité immédiate sera importante compte tenu de la priorité qu’accorde le Canada à l’efficacité et à la crédibilité de l’OTAN.
L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord en Afghanistan
Au lendemain des attentats terroristes d’al-Qaïda contre les États-Unis en septembre 2001, les Alliés de l’OTAN ont décidé d’invoquer pour la première fois leur engagement de défense collective au titre de l’article 5. Ce faisant, ils ont démontré non seulement leur solidarité et la force du lien transatlantique, mais aussi leur faculté d’adaptation face à de nouvelles menaces contre la sécurité.
Certains pays alliés, dont le Canada, ont envoyé des troupes pour appuyer l’invasion américaine de l’Afghanistan, dont les dirigeants talibans avaient abrité des terroristes d’al-Qaïda. Le gouvernement du président George W. Bush avait d’abord hésité à accepter une participation officielle de l’OTAN, préférant organiser une coalition circonstancielle d’États.
Dès 2003, cependant, l’OTAN avait assumé le commandement de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) autorisée par les Nations Unies en Afghanistan, et en avait dirigé ensuite l’expansion à l’échelle du pays. Cet engagement opérationnel deviendrait le plus vaste et le plus complexe jamais entrepris par l’OTAN et son premier à l’extérieur de l’Europe. Il allait englober des opérations antiterrorisme et anti-insurrection, ainsi que des activités d’édification d’un État.
La FIAS a réuni jusqu’à plus de 130 000 militaires provenant d’une cinquantaine de pays de l’OTAN et de pays partenaires. Sa mission a pris fin en 2014 quand les forces afghanes ont pris en charge la responsabilité de la sécurité de leur pays. En 2015, l’OTAN a lancé Resolute Support, une mission sans combat et de moindre envergure qui visait à former, à encadrer et à aider les forces et les institutions de sécurité afghanes. Cette mission a pris fin au début de septembre 2021 après l’effondrement soudain du gouvernement afghan et des forces de sécurité que l’OTAN avait entraînées.
Le Canada en Afghanistan
L’engagement pangouvernemental du Canada en Afghanistan a été l’une des expériences les plus importantes depuis des décennies sur le plan de la défense et des affaires étrangères; il a accaparé l’attention des gouvernements et du Parlement canadiens pendant des années. Plus de 40 000 membres canadiens du personnel militaire, de la diplomatie et du développement, entre autres, ont servi en Afghanistan, principalement entre 2001 et 2014 au sein de la FIAS, et surtout dans la province de Kandahar, foyer des talibans. Le Canada a perdu 159 militaires et 7 civils, et plus de 2 000 militaires ont été blessés. Son aide internationale s’est également chiffrée à quelque 3,6 milliards de dollars. Le Canada a mis un terme à sa mission de combat en 2011 et a formé les forces de sécurité afghanes jusqu’en 2014, mais n’a pas participé à la mission Resolute Support.
Un élément d’un effort plus vaste
L’expérience de l’OTAN en Afghanistan s’est muée en opération de gestion de crise à long terme englobant toute une gamme d’activités dans un pays éloigné et mal compris.
Selon le spécialiste de l’Afghanistan et ancien parlementaire britannique Rory Stewart, l’expérience acquise dans le cadre d’interventions antérieures a amené la communauté internationale à mettre l’accent sur « des plans universels et des ressources considérables » [en anglais] [sur abonnement] [traduction]. On n’a toutefois pas porté assez attention à des facteurs tels que les problèmes du pays en matière de développement, ses réalités politiques, l’incapacité de son économie à absorber efficacement une aide étrangère massive et l’effet délétère de la corruption.
Malgré les difficultés rencontrées en Afghanistan sur le plan de la coordination et du partage des charges, entre autres, l’OTAN a démontré sa capacité d’adaptation, a su maintenir une forte cohésion politique et a accompli des réalisations importantes au chapitre de la sécurité. Or, l’effort international global n’a pas permis de consolider un État efficace et résilient. Par conséquent, les observateurs ont été nombreux à insister sur l’importance d’être réaliste d’abord et avant tout et la nécessité d’éviter l’élargissement progressif de la mission.
Leçons à retenir
Tous les Alliés ont participé à une évaluation politique et militaire de l’intervention en Afghanistan. Il s’agit d’un processus dit de retour d’expérience, qui s’est achevé en novembre 2021 en prévision de la réunion de décembre 2021 des ministres des Affaires étrangères des pays de l’OTAN et de la négociation du prochain concept stratégique de l’OTAN, qui sera adopté en juin 2022.
Le processus a permis de dégager d’importantes conclusions et recommandations. D’après le résumé du retour d’expérience, les Alliés doivent :
- évaluer en permanence les intérêts stratégiques, rester conscients des dangers liés à l’élargissement d’une mission, et chercher à éviter de prendre des engagements allant bien au-delà des tâches fixées;
- examiner comment maintenir le niveau d’interopérabilité militaire et de dialogue politique atteint;
- soigneusement prendre en considération les normes politiques et culturelles du pays hôte ainsi que l’aptitude de la société en question à absorber le renforcement des capacités et la formation;
- améliorer les mécanismes d’information et de consultation internes de l’Alliance;
- examiner comment renforcer les capacités permettant de mener des opérations d’évacuation de non-combattants à bref préavis.
Réalités sous-jacentes
L’universitaire canadien Roland Paris a écrit que la fin de l’expérience de l’OTAN en Afghanistan « a été un rappel pour tous de réalités pénibles qu’ils préfèrent ne pas regarder en face » [en anglais] [traduction]. Parmi ces réalités – qui ont toutes des conséquences pour le Canada – figurent les disparités entre les capacités relatives des pays alliés, les frustrations qui existent entre ces pays et les priorités actuelles de la politique étrangère des États-Unis.
Même si le processus décisionnel de l’OTAN est fondé sur le consensus, dans les faits, les États-Unis sont plus égaux que les autres en raison de leurs ressources et de leurs moyens militaires. On a pu le constater en Afghanistan, où les décisions américaines en matière de priorités, de ressources, d’approches et de calendriers ont déterminé en grande partie celles de l’OTAN.
En février 2020, sans la participation du gouvernement de l’Afghanistan, le gouvernement Trump a signé un accord avec les talibans au sujet du retrait des troupes américaines et des autres forces étrangères en 2021. Le résumé du processus de retour d’expérience de l’OTAN affirme que « [l]es Alliés auraient gagné à mener des débats plus approfondis sur la négociation de l’accord entre les États-Unis et les talibans ».
Les tensions entre les États-Unis et les autres pays alliés de l’OTAN ne datent pas d’hier, mais elles étaient particulièrement manifestes pendant les mandats de Bush et de Trump. Dans la foulée des attentats de septembre 2001, le gouvernement Bush a réorienté l’attention et les ressources des États-Unis de l’Afghanistan vers l’invasion de l’Iraq en 2003. Pour sa part, le gouvernement Trump a pressé les Alliés d’augmenter les dépenses de défense tout en remettant en question l’utilité de l’Alliance. Après des années de désaccords sur les orientations, notamment concernant les activités en Syrie, en novembre 2019, le président français Emmanuel Macron a parlé de l’état de « mort cérébrale » de l’OTAN [en anglais] [sur abonnement]. La confiance et la consultation sont essentielles entre pays alliés et à peine quelques semaines plus tard, les dirigeants de l’OTAN ont convenu dans la Déclaration de Londres d’entreprendre un processus de réflexion visant à renforcer la dimension politique de l’Alliance.
Le gouvernement Biden met davantage l’accent sur le multilatéralisme et les alliances que ne le faisait le gouvernement Trump. Il a néanmoins décidé de donner suite sans grand changement à l’engagement de son prédécesseur quant au retrait de l’Afghanistan. À l’issue de consultations, en avril 2021, les Alliés ont publié une déclaration ministérielle du Conseil de l’Atlantique Nord sur l’Afghanistan qui affirmait ce qui suit : « Nous y sommes allés ensemble, nous nous y sommes adaptés ensemble, et nous allons en partir ensemble. » Or, comme l’a fait remarquer [en anglais] [sur abonnement] par la suite le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg, une fois que les États-Unis avaient pris la décision de se retirer, « les autres alliés pouvaient difficilement continuer sans les États-Unis. Ce n’était pas une option réaliste » [traduction].
Sans les États-Unis, les autres pays alliés n’auraient pas été en mesure de poursuivre la mission en Afghanistan ou d’y mettre fin d’une manière plus ordonnée. C’est pour cette raison que le président Macron et d’autres préconisent, de nouveau, de renforcer les moyens de défense de l’Europe pour qu’ils soient complémentaires à ceux de l’OTAN, et de viser l’« autonomie stratégique » dans le domaine de la sécurité et dans d’autres domaines.
Ressources supplémentaires
Assemblée parlementaire de l’OTAN. Tirer les enseignements de l’engagement de l’OTAN en Afghanistan, résolution, octobre 2021.
Borrell, Josep. « De l’intérêt de l’autonomie stratégique européenne », blogue du haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité/vice-président de la Commission européenne, 3 décembre 2020.
Garey, Julie. « Chapter 4: September 11, 2001, and the War in Afghanistan », The US Role in NATO’s Survival After the Cold War, 2020 [en anglais].
Jockel, Joseph T. et Joel J. Sokolsky. Canada in NATO, 1949–2019, 2021.
Auteur : James Lee, Bibliothèque du Parlement
Catégories :Affaires internationales et défense