Faire valoir les perspectives autochtones sur la carte : cartographie et toponymes autochtones*

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À l’occasion de la Journée nationale des peuples autochtones, le 21 juin, les communautés de tout le Canada organiseront des événements pour célébrer les cultures autochtones et leurs contributions au Canada. Les peuples autochtones s’emploient actuellement à exprimer leurs perspectives sur la carte du Canada. La présente Note de la Colline décrit les initiatives prises par les peuples et les communautés autochtones pour ce qui est de cartographier et de changer les noms de lieux se trouvant sur leurs terres natales, parfois au moyen de la cartographie participative.

Cartographies autochtones, noms de lieux et arrivée de nouveaux arrivants

Depuis des temps immémoriaux, les peuples autochtones ont cartographié et nommé des lieux sur leurs terres natales. Pour représenter leurs territoires, les peuples autochtones utilisent des histoires ainsi que des cartes visuelles et conceptuelles qui illustrent, par exemple, la réglementation sur l’utilisation des terres et la délimitation des territoires. Les toponymes autochtones peuvent être tirés d’événements historiques, représenter des principes juridiques ou décrire des caractéristiques géographiques telles que les endroits où passent les caribous et des sites de nidification des mouettes. Les toponymes autochtones peuvent également transmettre des enseignements sur la façon de vivre en relation avec la terre et les autres.

Les nouveaux arrivants au Canada avaient des idées fausses sur les habitants autochtones et leur relation à la terre. Les colonisateurs européens ont élaboré des concepts tels que la doctrine de la découverte. Comme cela est indiqué dans le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (vol. 1, p. 68) : « Cette doctrine a voulu qu’au moment de la “découverte” du continent nord-américain par les Européens, les nouveaux arrivants deviennent sur-le-champ les souverains propriétaires des terres nouvelles et de tout ce qu’elles renfermaient. »

Au Canada, les colons ont cartographié et nommé les terres et affirmé leur contrôle sur celles-ci. Ils ont dépossédé les peuples autochtones de leurs terres et ont remplacé les noms de lieux autochtones par des noms reflétant la culture et l’histoire européennes. Dans certains cas, les noms de lieux autochtones ont été modifiés ou adaptés par les nouveaux arrivants, en français et en anglais. Par exemple, le nom « Canada » viendrait du mot huron-iroquois « Kanata », qui signifie village ou établissement.

Initiatives particulières de cartographie autochtone

Aujourd’hui, les peuples autochtones refont la carte de leurs terres et leur donnent de nouveaux noms afin d’affirmer leur présence sur le territoire, de revitaliser leurs langues et de partager leurs récits, leurs histoires et leurs savoirs à propos de leurs terres natales. Les cartes servent également à éduquer les générations futures, à partager le savoir autochtone et à revendiquer des titres sur leurs territoires par l’intermédiaire du processus de revendications territoriales ou des tribunaux.

Il existe de nombreux exemples de cartes réalisées par des personnes, des communautés et des artistes inuits, métis et des Premières Nations :

  • L’artiste et membre de la nation Siksika Adrian Stimson a préparé une carte narrative [en anglais] mettant en évidence l’histoire du Stampede de Calgary vécue par les Premières Nations. La carte intègre les modes de connaissance des Pieds-Noirs en utilisant des pictogrammes disposés en forme de lignes, de spirales ou de serpents peints sur une peau de bison.
L’image représente une carte, fixée dans un cadre, intitulée « First Nations Stampede: A Guide to First Nations History at the Calgary Stampede » par l’artiste Adrian Stimson.

First Nations Stampede: A Guide to First Nations History at the Calgary Stampede, carte d’Adrian Stimson; photo de Drew Thomas, œuvre actuellement exposée au Glenbow Museum, à Calgary, en Alberta.

  • L’Atlas des peuples autochtones du Canada a été créé par la Société géographique royale du Canada en partenariat avec l’Assemblée des Premières Nations, l’Inuit Tapiriit Kanatami, le Ralliement national des Métis, le Centre national pour la vérité et la réconciliation et Indspire. L’atlas a été élaboré en réponse aux appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada concernant, entre autres, la mise en place de programmes d’études culturellement appropriés pour les étudiants autochtones. L’atlas se compose de quatre volumes et présente des perspectives autochtones au moyen de cartes, d’œuvres d’art, de l’histoire et de la culture.
Ces quatre illustrations ornent la couverture de chaque volume de l’Atlas des peuples autochtones du Canada, dont voici les titres : La Commission de vérité et réconciliation, Les Premières Nations, Inuit et Les Métis.

Illustrations sur la couverture de chaque volume de l’Atlas des peuples autochtones du Canada. Source : Canadian Geographic, Atlas des peuples autochtones du Canada.

  • Pendant la pandémie de COVID-19, CeeJay Johnson, l’artiste dakota et tlingit à l’origine de Kooteen Creations, a invité des artistes à créer une œuvre représentant leur province ou leur État sous forme de perles afin d’encourager l’art du perlage pendant la pandémie et de promouvoir les œuvres d’artistes autochtones. Plusieurs artistes autochtones ont brodé en perles une carte du Canada et des États-Unis. La carte fait ressortir la diversité des styles et des techniques de perlage, de même que les cultures des artistes.
  • Un projet de recherche [en anglais], fruit de la collaboration de trois universitaires et plusieurs communautés inuites du Canada, a mené à la production d’un atlas interactif en ligne répertoriant les sentiers et les toponymes inuits. L’atlas renseigne sur la mobilité et la vie des Inuits sur les terres, ainsi que sur les eaux, les côtes et les glaces de l’Arctique. Les sentiers et les toponymes inuits font partie d’un savoir géographique transmis à l’oral de génération en génération ou, plus récemment, au moyen de cartes transmises d’une génération d’Inuits à l’autre. Les sentiers, comme ceux que l’on voit dans l’atlas, relient les Inuits à leurs voisins et établissent des liens entre les communautés inuites dans tout l’Arctique.
Capture d’écran du Pan Inuit Trails Atlas.

Image tirée du Pan Inuit Trails Atlas. Source : Pan Inuit Trails, About [en anglais].

  • Native Land Digital [en anglais] est une organisation dirigée par des Autochtones qui a été constituée en 2018. Elle représente les nations et les peuples autochtones à leur manière et offre aux personnes et aux communautés du monde entier une plateforme participative afin de cartographier les territoires, les traités et les langues autochtones. La carte est un projet évolutif qui repose sur du contenu produit par les utilisateurs, qui peuvent d’ailleurs signaler des erreurs ou demander d’ajouter des nations à la carte.

Il existe également des exemples d’initiatives de renforcement des capacités visant à soutenir les cartographes autochtones. The Firelight Group [en anglais] propose aux cartographes, aux communautés ou aux organisations autochtones une formation culturellement adaptée en technologies géospatiales. L’organisme tient chaque année des ateliers de cartographie autochtone en vue de former des cartographes de communautés autochtones. Il offre également des possibilités de réseautage et d’apprentissage par l’intermédiaire d’un réseau mondial de cartographes autochtones appelé l’Indigenous Mapping Collective [en anglais]. Depuis 2014, c’est plus de 1 000 cartographes [en anglais] qui ont ainsi reçu une formation sur les technologies et les outils géospatiaux.

Initiatives particulières visant à rétablir les toponymes autochtones

Au Canada, la toponymie relève de la province ou du territoire où se trouve l’élément à nommer. Dans le cas des terres fédérales, comme les parcs nationaux, les toponymes sont la responsabilité conjointe des autorités de dénomination provinciales, territoriales et fédérales. L’organe national de coordination chargé des normes et des politiques relatives aux toponymes, la Commission de toponymie du Canada, a récemment travaillé avec des groupes autochtones pour restaurer des toponymes autochtones.

Aujourd’hui, les peuples autochtones travaillent au rétablissement de leurs noms de lieux :

  • Un comité composé de 17 femmes autochtones [en anglais] a travaillé avec des Aînés et des membres de la collectivité pour établir et proposer des noms de lieux autochtones pour certains quartiers de la ville d’Edmonton [en anglais]. Un règlement approuvant les noms des quartiers autochtones a été adopté le 7 décembre 2020.
  • Les Innus du Labrador travaillent depuis des décennies à documenter les noms de lieux [en anglais] dans leurs terres.
  • Le site Inuit Heritage Trust [en anglais] (Fiducie du patrimoine inuit) met en évidence les noms de lieux traditionnels inuits sur les cartes et vise à s’assurer qu’ils soient officialisés au Nunavut.
  • Margaret Wickens, cartographe potawatomi, a fait des recherches et conçu une carte du Canada sans frontières ne portant que les noms de lieux autochtones. La carte ne représente pas tous les toponymes autochtones du Canada, car elle inclut ceux qui ont été partagés avec la permission des Premières Nations, des Inuits et des Métis et de leurs communautés. Comme il est expliqué dans une description de la carte [en anglais] : « Les noms expriment des droits territoriaux et décrivent les formes, les sons et les histoires des terres souveraines. Les noms marquent l’emplacement des lieux de rassemblement, des communautés, des lieux de danger et de beauté et des lieux où les traités ont été signés. Les noms sont anciens et récents, dans le temps et hors du temps, et ils expriment et affirment la présence autochtone dans le paysage canadien dans des langues autochtones. » [traduction]
  • Les cartes sont un élément clé de certains traités modernes négociés entre les groupes autochtones et les gouvernements fédéral, provinciaux ou territoriaux. Les cartes sont utilisées pour désigner les territoires autochtones ainsi que les droits fonciers, les droits aux ressources ou les droits d’exploitation de l’eau dans une région donnée. Dans certains cas, les traités modernes contiennent des dispositions concernant les noms de lieux. Par exemple, grâce à un traité moderne, le gouvernement du Nunatsiavut, dans le nord du labrador, a le pouvoir de choisir des noms de lieux, de reconnaître d’autres noms de lieux, de renommer des lieux et de déterminer la pertinence des noms de lieux dans les terres des Inuits du Labrador.

Grâce à ces initiatives et à d’autres, les peuples autochtones indiquent sur une carte leurs points de vue, leurs récits et leurs histoires aux générations futures.

Ressources supplémentaires

Adam Gaudry, « Cartes », Atlas des peuples autochtones du Canada.

Christina Gray et Daniel Rück, « Reclaiming Indigenous Place Names » Yellowhead Institute, 8 octobre 2019 [en anglais].

Gouvernement du Canada, Récits du territoire : Noms de lieux autochtones au Canada.

* Avis de non-responsabilité : Les exemples fournis dans cette Note de la Colline le sont uniquement à titre d’illustration et ne valent pas approbation et acceptation officielles des frontières ou des noms figurant sur ces cartes par la Bibliothèque du Parlement.

Auteure : Brittany Collier, Bibliothèque du Parlement



Catégories :Affaires autochtones, Éducation, langue et formation

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