Fiscalité et réglementation des monnaies numériques

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(Available in English: Taxation and Regulation of Digital Currencies)

La présente Note de la Colline est la première d’une série de trois sur le thème des monnaies numériques. La deuxième partie de la série traitera des problèmes et des inquiétudes que soulèvent les monnaies numériques, tandis que la troisième partie abordera la question de la technologie de la chaîne de blocs et de ses diverses applications.

A.        Les monnaies numériques

Obscure théorie d’un programmeur informatique, les monnaies numériques sont devenues, depuis 2008, une industrie mondiale de plusieurs milliards de dollars ayant retenu l’attention de nombreux investisseurs canadiens[i]. En 2017, 64 % des Canadiens avaient entendu parler du bitcoin – la plus populaire des monnaies numériques – et près de 3 % en possédaient[ii]. À la fin de l’année 2017, la valeur totale des bitcoins en circulation dans le monde atteignait 238 milliards de dollars[iii]. Beaucoup d’autres monnaies numériques existent, dont l’ethereum, le ripple, le litecoin et le monero.

Une monnaie numérique est un actif qui n’existe qu’électroniquement, alors qu’une cryptomonnaie est une monnaie numérique qui combine de nouveaux systèmes de paiement avec de nouveaux actifs, à l’aide de la cryptographie, c’est‑à‑dire la science du chiffrement et du déchiffrement des codes.

Le secteur de la technologie financière est formé d’entreprises qui utilisent le principe de la chaîne de blocs, technologie à la base de nombreuses monnaies numériques, et d’autres technologies de paiement pour faire concurrence aux méthodes traditionnelles employées pour offrir des services financiers. Outre les monnaies numériques, les entreprises de technologie financière offrent des services comme le financement collectif, les conseils financiers automatisés et l’assurance. Les investissements dans le secteur de la technologie financière dans le monde sont passés de 1,8 à 27 milliards de dollars entre 2010 et 2017[iv].

Les consommateurs peuvent utiliser des monnaies numériques pour acheter des applications, de la musique, des services de voyage et d’autres biens et services de consommation. L’utilisation des monnaies numériques est aussi associée à des activités illégales comme le trafic de stupéfiants, le blanchiment d’argent, le financement d’activités terroristes et le piratage informatique.

D’aucuns croient qu’un jour les monnaies numériques pourraient remplacer une partie importante des monnaies auxquelles les gouvernements ont donné cours légal dans leurs pays, échappant à tout contrôle réglementaire.

Le défi pour les gouvernements et les organismes de réglementation consiste donc à mettre sur pied un régime réglementaire qui encadre les monnaies numériques et le secteur de la technologie financière et qui favorise le développement responsable de ces technologies, tout en assurant la protection des consommateurs, des investisseurs, des entreprises et du système financier.

Le Canada dispose de lois et de règlements s’appliquant aux monnaies numériques en ce qui concerne la fiscalité, le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes et les valeurs mobilières, ainsi que d’autres règlements concernant le secteur de la technologie financière.

B.        Fiscalité

L’un des principaux problèmes qui se sont posés aux législateurs pour ce qui est de définir le régime fiscal à appliquer aux monnaies numériques est que celles-ci n’ont pas cours légal, bien que certaines monnaies numériques puissent être utilisées pour acheter et vendre des biens et services[v]. En 2013, l’Agence du revenu du Canada (ARC) précisait [en anglais seulement] que, aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu, les monnaies numériques étaient considérées comme une marchandise plutôt que comme de l’argent.

Si une monnaie numérique est achetée ou vendue comme une marchandise, elle est assujettie au même régime fiscal que celui des autres valeurs mobilières, comme les titres de fonds commun de placement ou les actions. À l’instar de l’investisseur qui doit payer l’impôt sur les gains en capital découlant de la vente de valeurs mobilières, celui qui investit dans les monnaies numériques doit payer l’impôt sur les gains en capital réalisés au moment de la vente de monnaies numériques, pourvu que le prix de vente ait été supérieur au prix d’achat.

L’usage d’une monnaie numérique pour payer des biens et des services est considéré comme une opération de troc, qui consiste en un échange de biens ou de services, sans argent, entre deux personnes. En conséquence, le vendeur doit ajouter à son revenu la juste valeur marchande des biens ou services aux fins du calcul de l’impôt sur le revenu.

Si un contribuable effectue des opérations avec une monnaie numérique, les gains ou les pertes pourraient être considérés comme un revenu ou une perte provenant d’une entreprise ou d’un bien. Selon l’ARC, la répétition des transactions, la période de détention, la connaissance des marchés des valeurs mobilières et le temps consacré à ces opérations sont des facteurs essentiels à prendre en compte pour déterminer si la vente de monnaies numériques est considérée comme un revenu ou une perte provenant d’une entreprise ou d’un bien. Le contribuable peut aussi déduire les dépenses admissibles du revenu produit par l’opération.

En ce qui concerne les taxes à la consommation, l’ARC a indiqué [en anglais seulement] que les entreprises qui vendent un bien ou un service contre une monnaie numérique doivent percevoir la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (TPS/TVH) sur la juste valeur marchande de la monnaie numérique au moment de la vente. Les monnaies numériques n’étant pas considérées comme de l’argent, il est probable que l’exemption pour « l’échange, le paiement, l’émission, la réception ou le transfert d’argent », prévue dans la Loi sur la taxe d’accise, ne s’appliquerait pas.Image : Transactions en monnaie numérique et imposition au Canada– Exemples. Cette illustration présente trois types de transactions en monnaie numérique. La première transaction est la vente d’une monnaie numérique dans le cadre d’une opération de change. Le diagramme illustre une monnaie numérique qui devient un billet. Dans cet exemple, la transaction sera imposée comme à titre de marchandise, avec un profit ou une perte correspondant au gain ou à la perte en capital. La deuxième transaction est l’utilisation d’une monnaie numérique comme mode de paiement pour des produits et des services. Le diagramme illustre une poignée de main. Dans cet exemple, la transaction sera imposée à titre d’opération de troc, et le revenu du vendeur correspondra à la juste valeur marchande des produits ou des services; la TPS et la TVQ s’appliqueront également. La troisième transaction est illustrée par une image représentant la spéculation à court terme. Cette transaction sera effectuée par un courtier en monnaie numérique; les profits ou les pertes associés à chaque transaction seront imposés à titre de revenu ou de perte d’entreprise.

C.        Blanchiment d’argent et financement d’activités terroristes

La plupart des monnaies numériques circulant à l’extérieur du système financier habituel, elles posent des difficultés réglementaires en ce qui a trait au contrôle du blanchiment d’argent et du financement d’activités terroristes.

Les entreprises de services monétaires – c.‑à‑d. celles qui réalisent des opérations de change et qui offrent des services de transfert d’argent et certains autres services financiers – doivent rendre compte de leurs activités au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada. En 2014, le gouvernement du Canada a apporté des modifications législatives de manière à inclure à la liste des entreprises de services monétaires les entreprises qui offrent des services de monnaies virtuelles. À l’époque, ces mesures législatives représentaient la première loi nationale sur les monnaies numériques à être adoptée dans le monde [en anglais seulement], mais la réglementation requise pour que ces modifications entrent en vigueur n’a pas encore été adoptée.

D.        Lois sur les valeurs mobilières

En août 2017, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont publié un avis sur l’applicabilité des lois canadiennes en matière de valeurs mobilières aux opérations en monnaies numériques et sur les exigences connexes. Elles ont aussi lancé un « bac à sable réglementaire » qui, pendant une certaine période, permet aux entreprises de technologie financière d’obtenir une exemption relative à certaines exigences des lois sur les valeurs mobilières qui pourraient nuire à l’innovation, pourvu que la protection des investisseurs ne soit pas compromise.

E.        Réglementation du secteur de la technologie financière

En août 2017, le ministère des Finances du Canada, dans son examen du cadre fédéral régissant le secteur financier, demandait à obtenir des commentaires afin de déterminer si les institutions non bancaires devraient être autorisées à utiliser les termes « banque », « banquier » et « opérations bancaires ». Dans sa loi no 1 d’exécution du budget de 2018, actuellement à l’étude au Parlement, le gouvernement propose d’autoriser les coopératives de crédit à utiliser ces termes à certaines conditions, mais pas les entreprises de technologie financière. Le projet de loi propose aussi des modifications qui donneraient plus de latitude aux banques pour ce qui est de faire des affaires et d’échanger des renseignements avec les entreprises de technologie financière.

Étant donné la vitesse fulgurante à laquelle se développent les monnaies numériques et les entreprises de technologie financière, les organismes de réglementation canadiens devront exercer une étroite surveillance sur la suite des choses et, au besoin, mettre à jour leur cadre réglementaire afin de favoriser leur développement responsable, tout en veillant à la protection des consommateurs, des investisseurs et du système financier.

[i] Satoshi Nakamoto, Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System, 2008.

[ii] Banque du Canada, Bitcoin Awareness and Usage in Canada, décembre 2017.

[iii] Statistica, Market capitalization of Bitcoin from 1st quarter 2012 to 1st quarter 2018 (in billion U.S. dollars), 2018.

[iv] Accenture, Global Venture Capital Investment in Fintech Industry Set Record in 2017, Driven by Surge in India, US and UK, Accenture Analysis Finds, communiqué de presse, 28 février 2018.

[v] Banque d’Angleterre, The Future of Money, discours prononcé par Mark Carney à la première Scottish Economics Conference, Université d’Édimbourg, 2 mars 2018.

Auteure : Brett Stuckey, Bibliothèque du Parlement



Catégories :Économie et finances, Industrie, entreprises et commerce

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