L’industrie agricole canadienne : quelles sont les répercussions et les leçons tirées de la pandémie de COVID-19?

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Le 3 décembre 2021, 810

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La pandémie de COVID-19 a eu d’importantes répercussions sur l’industrie agricole canadienne. Dès le début, les producteurs, les transformateurs et les exploitants agroalimentaires ont dû réagir rapidement à de nouvelles perturbations, comme les pénuries de main-d’œuvre, l’accroissement des règles sur la santé et la sécurité, les fluctuations du marché, les retards dans la chaîne d’approvisionnement, la diminution de la capacité ainsi que la fermeture des usines de transformation de viande et la fermeture de l’industrie des services alimentaires.

Malgré ces perturbations et de nombreux autres obstacles liés à la pandémie, l’industrie agricole a enregistré des résultats supérieurs à l’économie canadienne en 2020. Son produit intérieur brut (PIB) a augmenté de 7,6 % en 2019, alors que celui de l’ensemble des secteurs canadiens a diminué de 5,3 % pendant la même période. La croissance du PIB a varié selon les produits agricoles : celui des cultures agricoles a augmenté de 9,2 % (la croissance étant essentiellement attribuable à la production de cannabis), tandis que celui de l’élevage a connu une hausse de 0,7 %. Les exportations canadiennes de produits agricoles et agroalimentaires ont continué de croître pour atteindre une valeur de près de 74 milliards de dollars en 2020, par rapport à 67 milliards de dollars en 2019.

La présente Note de la Colline se penche sur trois répercussions qu’a eues la pandémie sur l’industrie agricole : l’évolution du marché du travail, la collaboration dans l’industrie et la modification des habitudes de consommation. Elle souligne les leçons tirées des vulnérabilités et de la résilience de notre système alimentaire.

Évolution du marché du travail

La forte croissance du PIB de l’industrie agricole durant la pandémie masque les graves pénuries de main-d’œuvre qui y sévissent, notamment celles découlant des éclosions répétées de COVID-19 dans le secteur de la transformation de la viande. L’emploi dans l’agriculture a diminué de plus de 5 % en 2020, et l’emploi de travailleurs canadiens et de travailleurs étrangers temporaires (TET) a reculé de 4 et de 7 %, respectivement. L’agriculture canadienne dépend fortement des travailleurs étrangers recrutés par l’intermédiaire du Programme des travailleurs agricoles saisonniers, qui fait partie du Programme des travailleurs étrangers temporaires.

Selon Statistique Canada, les TET occupaient 20 % des emplois totaux (55 000 emplois) dans le secteur de l’agriculture en 2018, et 84,9 % de ces emplois se trouvaient sur des fermes horticoles (p. ex. culture de fruits, de légumes et de noix, culture en serre et en pépinière, et floriculture).

Le nombre de TET qui sont entrés au Canada tout en détenant un permis de travail agricole a chuté de 45 %, passant en moyenne de 5 593, de 2015 à 2019, à 3 065 en mars 2020, en raison des restrictions de voyage liées à la pandémie. Pendant cette période, bon nombre de TET ont vu leur départ retardé et ont été incapables de se rendre au Canada à temps pour l’ensemencement des cultures au printemps. Certes, de nombreux TET sont arrivés plus tard en 2020, mais ils étaient moins nombreux, en moyenne, qu’au cours des cinq années précédentes. En mars 2021, leur nombre a augmenté de 63 % par rapport à la période allant de 2015 à 2019, pour s’établir à 9 105.

La figure 1 montre le nombre approximatif de TET qui sont entrés au Canada tout en détenant un permis de travail agricole, dans toutes les provinces et tous les territoires (à l’exception du Nunavut), de janvier 2015 à août 2021.

Figure 1 – Nombre approximatif de travailleurs étrangers temporaires détenant un permis de travail agricole qui sont entrés au Canada, de 2015 à 2021Le graphique linéaire de la figure 1 montre le nombre approximatif de travailleurs étrangers temporaires qui sont entrés au Canada tout en détenant un permis de travail agricole, dans toutes les provinces et tous les territoires, à l’exception du Nunavut, de janvier 2015 à août 2021. En mars 2020, leur nombre a chuté de 45 %, passant en moyenne de 5 593, de 2015 à 2019, à 3 065, en raison des restrictions de voyage liées à la pandémie. En mars 2021, ce nombre avait augmenté de 63 %, pour s’établir à 9 105, par rapport à la période allant de 2015 à 2019.

Note : La figure 1 montre le nombre approximatif de TET entrant au Canada pendant une période ou une année donnée; certains d’entre eux peuvent détenir plus d’un permis, tandis que d’autres peuvent recevoir un permis après leur arrivée au pays.
Source : Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir de données tirées de Gouvernement du Canada, Canada – Titulaires de permis de travail du Programme des travailleurs étrangers temporaires selon la province / le territoire de destination envisagé(e), le programme et l’année à laquelle le permis est entré en vigueur, de janvier 2015 à septembre 2021.

Selon une recherche réalisée par le Conseil canadien pour les ressources humaines en agriculture (CCRHA) à partir de données recueillies au moyen d’un sondage national et d’une série d’entrevues menées auprès de 453 exploitants agricoles en 2020 :

  • on estime que les agriculteurs canadiens interrogés ont perdu 2,9 milliards de dollars de ventes, soit l’équivalent de 4,2 % des ventes totales du secteur, en raison de la pénurie de main-d’œuvre;
  • 47 % des employeurs interrogés ont été incapables d’embaucher tous les travailleurs dont ils avaient besoin;
  • 20 % des TET n’ont pas été en mesure de venir au Canada;
  • 71 % des employeurs qui ont fait état d’une pénurie de main-d’œuvre ont signalé que le nombre de candidats canadiens avait diminué par rapport aux années précédentes.

Le Programme pilote sur l’agroalimentaire lancé en mai 2020 vise à combler les pénuries de travailleurs à temps plein et annuels dans des secteurs agricoles comme la transformation de la viande, la culture de champignons et la culture en serre, et à créer une voie vers la résidence permanente pour les TET occupant ces postes. Selon un article de journal [en anglais] [sur abonnement], le Programme devait accepter 2 750 travailleurs migrants par année pendant trois ans, mais Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada soutient qu’il n’a reçu que 343 demandes au 31 août 2021. L’article mentionne que les longs délais de traitement seraient l’une des causes expliquant la faible participation au Programme.

Collaboration dans l’industrie

Les organisations agricoles canadiennes se sont mobilisées pour faire pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il offre du soutien afin d’atténuer les répercussions de la COVID-19 et qu’il protège la chaîne d’approvisionnement alimentaire canadienne à long terme.

En avril 2020, la Fédération canadienne de l’agriculture (FCA) a demandé au gouvernement fédéral de créer un Fonds d’urgence de 2,6 milliards de dollars pour l’agriculture et l’agroalimentaire. Le montant demandé reposait sur des estimations des répercussions immédiates de la COVID-19 fournies par des groupes de producteurs agricoles spécialisés partout au pays. La FCA a recommandé qu’on accorde la priorité à l’équipement de protection individuelle (EPI) des travailleurs agroalimentaires, à l’aide visant à attirer de la main-d’œuvre et à l’amélioration des programmes de gestion des risques de l’entreprise (GRE), notamment la promotion du programme Agri-investissement et l’élargissement de la couverture du programme Agri-stabilité.

La Canadian Cattlemen’s Association et le Conseil canadien du porc ont fait écho à la FCA en demandant l’amélioration des programmes de GRE, et plus particulièrement la mise en place de programmes de paiements d’urgence et la mise de côté de fonds pour gérer les bovins et les porcs bloqués dans les exploitations agricoles en raison des éclosions survenant dans les usines de transformation.

En mai 2020, le gouvernement fédéral a élargi l’admissibilité au Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes (CUEC) aux agriculteurs qui exploitent leur entreprise en utilisant leurs comptes bancaires personnels, de façon à ce qu’ils puissent demander des prêts sans intérêts. Au départ, le CUEC était destiné aux petites entreprises et aux organismes sans but lucratif, et il excluait les exploitations agricoles. Le gouvernement a aussi annoncé un investissement de 252 millions de dollars pour aider les agriculteurs, ainsi que les entreprises et les transformateurs agroalimentaires, en plus de fonds supplémentaires pour l’achat d’EPI au titre du Fonds d’urgence pour la transformation (77,5 millions de dollars) et d’initiatives nationales de GRE en vertu du cadre Agri‑relance (125 millions de dollars) en vue de gérer le bétail en réserve dans les fermes.

Selon le rapport du CCRHA de 2021, 78 % des exploitants agricoles interrogés ont demandé de l’aide au gouvernement en 2020. Les trois programmes les plus mis à profit étaient le CUEC, le Programme d’aide pour l’isolement obligatoire des travailleurs étrangers temporaires et Agri-investissement.

La FCA s’est récemment associée à Aliments et boissons Canada, au CCRHA et au Centre des compétences futures pour établir la Stratégie nationale de la main‑d’œuvre pour les secteurs de l’agriculture et de la fabrication d’aliments et de boissons. Ce projet de deux ans vise à remédier aux pénuries de main-d’œuvre chroniques qui sévissaient avant la pandémie et qui continueront de sévir après celle-ci dans le secteur agricole, à renforcer la résilience de la chaîne d’approvisionnement alimentaire canadienne, à assurer la croissance du secteur et à l’aider à atteindre les objectifs de croissance ambitieux fixés pour les exportations et les ventes intérieures par la Table de stratégies économiques du Canada pour le secteur agroalimentaire.

Modification des habitudes de consommation

Au début de la pandémie, en raison des mesures de distanciation physique rigoureuses mises en place, les restaurants et les hôtels ont dû fermer temporairement leurs portes. Craignant de possibles pénuries alimentaires, les consommateurs canadiens ont rapidement augmenté leurs dépenses d’épicerie pour cuisiner à la maison au lieu d’aller manger au restaurant.

En mars 2020, les achats à l’épicerie ont connu une hausse de 30 %, tandis que les dépenses en restauration ont chuté de 70 %. La hausse des achats en ligne, conjuguée à la baisse des activités dans les restaurants, les hôtels et en lien avec les conférences, a eu des répercussions différentes sur les producteurs; par exemple, les producteurs de pommes de terre ont dû entreposer des millions de kilogrammes de pommes de terre faute de marchés où les vendre. De leur côté, les transformateurs, les services alimentaires et les détaillants ont investi dans de l’EPI, des vitres de sécurité et d’autres barrières pour assurer la salubrité des aliments et la sécurité des employés.

La fermeture des restaurants a fait diminuer la demande pour les produits de l’aquaculture, mais l’augmentation du nombre de Canadiens jardinant à la maison a fait augmenter celle pour certains produits horticoles. Les exploitants ont adapté leur offre en conséquence. Certains marchés agricoles ont modifié leur modèle d’affaires et mis en place des plateformes en ligne pour vendre directement aux consommateurs.

Certes, la pandémie a accru la demande des consommateurs pour des « produits agricoles locaux » et leur motivation à acheter ces produits, mais elle a également exacerbé l’insécurité alimentaire au Canada. Le Bilan-Faim de 2021, un rapport publié par Banques alimentaires Canada, révèle que les banques alimentaires ont reçu la visite de 1,3 million de Canadiens en mars 2021, une augmentation de plus de 20 % par rapport à la même période en 2019 et la plus importante augmentation depuis la récession économique de 2008. Le taux de chômage élevé, l’inflation des prix des denrées alimentaires, l’augmentation du coût du logement et le retrait de l’aide gouvernementale ont empêché les Canadiens de subvenir à leurs besoins en nourriture.

Coup d’œil sur l’avenir

L’industrie agricole canadienne est un maillon important de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, et la plupart de ses entreprises ont poursuivi leurs activités en toute sécurité pendant la pandémie. Dans le cadre stratégique du prochain Partenariat canadien pour l’agriculture, la priorité sera de promouvoir l’agriculture et l’agroalimentaire durables; il s’agira notamment d’attirer de la main-d’œuvre, de la maintenir en poste et de la former, et d’automatiser les activités.

Dans un rapport nouvellement publié par le Forum des politiques publiques et Action Canada, on estime que l’agriculture pourrait voir sa production augmenter de 11 milliards de dollars d’ici 2030 si des investissements sont effectués dans le renforcement des capacités de la main-d’œuvre, le perfectionnement de ses compétences et sa rétention. Les solutions proposées dans le rapport visent à réduire les obstacles en donnant accès aux capitaux, aux terres, aux connaissances et à la main-d’œuvre aux nouveaux agriculteurs, en particulier les groupes sous‑représentés dans l’agriculture, comme les femmes, les minorités visibles, les immigrants, les jeunes et les peuples autochtones.

Auteure : Joanne Markle LaMontagne, Bibliothèque du Parlement



Catégories :Agriculture, environnement, pêches et ressources naturelles, COVID-19, Industrie, entreprises et commerce

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