Révisée le 26 juin 2020, 8h20
Dans cette Note de la Colline, tout changement d’importance depuis la dernière publication est indiqué en caractères gras.
(Available in English: COVID-19 and the Federal Correctional System)
Depuis le début de la pandémie de COVID‑19, certains pénitenciers fédéraux du pays ont signalé des cas d’infection au virus. Il y a eu des éclosions [en anglais seulement] dans des établissements au Québec, en Ontario et en Colombie‑Britannique. Parmi les personnes infectées, on compte des détenus purgeant une peine de ressort fédéral et des gardiens de prison. Puisque les établissements correctionnels, ainsi que leurs populations, font partie de la collectivité plus vaste, une flambée de la maladie au sein des pénitenciers représente également un risque pour la santé de l’ensemble de la société.
On compte environ 14 000 détenus sous responsabilité fédérale dans les établissements correctionnels. Ils sont généralement confinés à un espace restreint, avec très peu de séparation entre les cellules. Pratiquer l’éloignement sanitaire n’est pas faisable, à moins d’imposer des mesures (p. ex. l’isolement et le confinement cellulaires prolongés) qui ont été démontrées [en anglais seulement] à provoquer de graves problèmes de santé physique et mentale.
La population carcérale des établissements fédéraux est particulièrement vulnérable en raison du vieillissement des détenus et de la forte prévalence de maladies chroniques. De nombreux détenus des établissements fédéraux sont aux prises avec des comportements à haut risque qu’on associe à des maladies chroniques comme le virus de l’hépatite C et le virus de l’immunodéficience humaine. De plus, les Autochtones sont surreprésentés dans les établissements correctionnels fédéraux (30 % des personnes sous garde fédérale, comparativement à 5 % de la population canadienne dans son ensemble), et ont une plus grande prévalence [en anglais seulement] de maladies infectieuses et de maladies chroniques.
Service correctionnel Canada et la prestation de soins de santé
Aux termes de l’article 86 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous conditions, Service correctionnel Canada (SCC) a l’obligation d’offrir aux personnes purgeant une peine de ressort fédéral des « soins de santé essentiels » et un « accès, dans la mesure du possible, aux soins de santé non essentiels ».
L’alinéa 4g) de cette même loi oblige également SCC à veiller à ce que ses directives d’orientation générale, ses programmes et ses pratiques, y compris ceux qui portent sur les soins de santé, « tiennent compte des besoins propres aux femmes, aux Autochtones, aux minorités visibles, aux personnes nécessitant des soins de santé mentale et à d’autres groupes ».
Le Canada a souscrit en outre aux Règles Nelson Mandela (Règles Mandela) des Nations Unies, selon lesquelles les prisonniers doivent « recevoir des soins de même qualité que ceux disponibles dans la société et avoir accès aux services nécessaires sans frais et sans discrimination fondée sur leur statut juridique ». Même si les Règles Mandela n’ont pas force de loi, on considère généralement qu’elles énoncent les pratiques exemplaires du traitement des détenus incarcérés.
Dans le contexte de la pandémie de COVID‑19, SCC a annoncé qu’il a « des équipes de soins de santé spécialisées dans ses établissements qui possèdent les connaissances et l’expérience nécessaires pour traiter des cas de maladies infectieuses et respiratoires, comme la COVID‑19 ». SCC a également mis en place des mesures afin de prévenir la propagation de cette maladie, tel que :
- annuler toutes les permissions de sortie, à moins qu’elles ne soient nécessaires pour des raisons médicales;
- suspendre toutes les visites et tous les programmes;
- fermer les espaces communs, comme les gymnases et les bibliothèques.
Cependant, ces mesures ont été critiquées pour avoir été inadéquates et pour potentiellement contraindre aux droits des détenus.
Mise à jour concernant la COVID‑19 publiée par l’enquêteur correctionnel
Le 23 avril, l’enquêteur correctionnel, qui joue le rôle d’ombudsman au sein du système correctionnel fédéral, a publié une Mise à jour concernant la COVID‑19 selon laquelle 25 % des plaintes soumises à son bureau depuis la mi‑mars sont liés à la COVID‑19. Ces plaintes vont « du personnel ne portant pas l’équipement de protection approprié ou ne pratiquant pas un éloignement physique sécuritaire, à la perte du temps passé dans la cour, au manque d’accès aux programmes et à l’aumônerie, ainsi qu’aux routines et aux conditions de confinement en général contraignantes ».
En outre, l’enquêteur correctionnel estime que les droits de la personne des détenus fédéraux atteints de la COVID‑19 dans certains établissements ont été bafoués. Il indique en effet que certains détenus infectés de l’Établissement de Mission, en Colombie‑Britannique, « ont été soumis à des périodes d’isolement cellulaire de 24 heures sans accès au téléphone, à l’air frais, à des avocats ou aux membres de leur famille », et il ajoute qu’aucun de ces détenus n’a été en mesure de communiquer avec son bureau.
Il affirme également que l’isolement cellulaire qui leur est imposé constitue « une violation des droits universels de la personne, et ne peut jamais être considéré comme justifiable, tolérable ou nécessaire, quelles que soient les circonstances ».
Mise en liberté anticipée
En raison des conditions à l’intérieur des pénitenciers, certains intervenants réclament la mise en liberté anticipée [en anglais seulement] des détenus vulnérables qui ne présentent pas de risques pour la sécurité publique. Quelques provinces et d’autres pays ont adopté cette approche.
Jusqu’à présent, le seul détenu à avoir fait sujet de reportage médiatique pour avoir été remis en liberté par le SCC en raison de la COVID‑19 est Derrick Snow [en anglais seulement]. M. Snow s’est adressé aux tribunaux pour obtenir une mise en liberté [en anglais seulement], parce que le fait de contracter la COVID‑19 pourrait lui être fatal en raison de ses nombreuses maladies chroniques. La veille de son audience, le directeur de l’établissement lui a accordé une permission de sortie sans escorte pour des raisons médicales.
De plus, selon La COVID‑19 et la Commission des libérations conditionnelles du Canada, huit libérations conditionnelles à titre exceptionnel ont été accordées depuis le 1er mars 2020, alors que quatre libérations de ce type ont été accordées lors du dernier exercice.
Contestations judiciaires en cours
À l’heure actuelle, trois poursuites judiciaires contre le gouvernement fédéral pour sa gestion de la pandémie au sein des pénitenciers semblent être en cours.
L’une de ces poursuites, intentée par un détenu de l’Établissement de Warkworth, en Ontario, a reçu l’appui de différentes organisations comme l’Association canadienne des libertés civiles [en anglais seulement]. Les demandeurs réclament notamment que l’on ordonne au SCC de :
- prendre immédiatement des mesures proactives et systématiques pour réduire le plus possible le nombre de détenus au sein de ses établissements sans compromettre la sécurité du public;
- mettre en œuvre des mesures adéquates d’éloignement physique;
- faire des tests de dépistage à grande échelle et de la recherche de contacts approfondie;
- fournir de l’équipement de protection individuelle approprié, du matériel de nettoyage ainsi que du savon et du désinfectant pour les mains;
- augmenter la fréquence de nettoyage des aires communes.
Les demandeurs souhaitent aussi que les tribunaux déclarent :
- que l’incapacité du SCC à prendre toutes les mesures raisonnables pour assurer un milieu pénitentiaire sain et sécuritaire, à fournir aux détenus les soins de santé essentiels dans le contexte de la COVID‑19 et à prendre en considération l’état de santé et les besoins de chacun des détenus dans toutes les décisions les concernant va à l’encontre de ses obligations au titre de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous caution et de la Charte canadienne des droits et libertés;
- qu’en imposant aux détenus des conditions de confinement comparables à celles des détenus placés en isolement pour des périodes indéfinies ou prolongées, en réponse à la COVID‑19, le SCC viole les droits des détenus garantis par la Charte, y compris le droit « à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires » et le droit « à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités ».
Les autres contestations en cours sont des demandes d’autorisation de recours collectif qui visent à obtenir une compensation financière pour les détenus de deux des établissements correctionnels fédéraux où le virus s’est le plus répandu.
La demande portant sur l’Établissement de Mission (sécurité moyenne), en Colombie‑Britannique, selon les reportages, allègue [en anglais seulement] que certains détenus y ont contracté la maladie parce que le SCC n’a pas pris les mesures adéquates pour les protéger et n’a pas fourni de soins médicaux adéquats en temps opportun ou n’en a pas offert du tout.
La demande d’autorisation de recours collectif portant sur l’Établissement de Joliette, au Québec, selon les reportages, soutient que le SCC a agi trop peu, trop tard pour protéger les détenus contre la propagation du virus et réclame des dommages punitifs y compris 100 $ par jour pour chaque personne incarcérée dans un établissement fédéral au Québec depuis le 13 mars 2020, date à laquelle le gouvernement du Québec a décrété l’état d’urgence sanitaire.
Ressources supplémentaires
Bureau de l’enquêteur correctionnel, Mise à jour concernant la COVID‑19, 23 avril 2020.
Association canadienne des libertés civiles, L’ACLC et ses partenaires engagent des poursuites judiciaires contre le Service correctionnel du Canada.
Syndicat des employé-e-s de la Sécurité et de la Justice, COVID‑19 et situation pénitentiaire fédérale au Québec : une catastrophe à l’horizon.
Bureau régional de l’Europe de l’Organisation mondiale de la santé, « Preparedness, prevention and control of COVID‑19 in prisons and other places of detention », 15 mars 2020 [en anglais seulement].
Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Une action urgente s’impose pour éviter que la COVID‑19 ne cause « des ravages dans les lieux de détention » – Bachelet, 25 mars 2020.
ONU Info, COVID‑19 : l’ONU s’inquiète des risques de contamination dans les prisons et réclame des mesures d’urgence, 25 mars 2020.
UCCO‑SACC, COVID‑19 – Communiqué de presse du 30 mars.
Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, « Position Paper – COVID‑19 preparedness and responses in prison », 31 mars 2020 [en anglais seulement].
Jane Philpott et Kim Pate, « Several measures should be taken immediately to prevent a catastrophic outbreak of COVID‑19 in Canada’s overcrowded and underprepared prisons », Options politiques, 31 mars 2020 [en anglais seulement].
Auteurs : Jean-Philippe Duguay et Cynthia Kirkby, Bibliothèque du Parlement
Catégories :Affaires sociales et communautaires, COVID-19, Lois, justice et droits, Santé et sécurité