Le rôle militaire du Canada en Iraq

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(Available in English: Canada’s Military Role in Iraq)

Source: Caméra de combat des Forces canadiennes

Le 11 juillet 2018, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé que les Forces armées canadiennes allaient assumer le commandement, en Iraq, d’une mission de formation [en anglais seulement] de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Cette mission, qui s’inscrit dans le cadre de l’opération Impact, servira de complément à la contribution des Forces armées canadiennes à la Coalition mondiale contre Daech (qu’on appelle aussi État islamique en Iraq et en Syrie, EIIS, EIIL ou État islamique).

Les opérations militaires du Canada en Iraq se font dans un contexte de sécurité complexe où l’État iraquien cherche encore à asseoir son autorité sur le territoire et sur les groupes armés. L’Iraq s’emploie à neutraliser les dernières poches de résistance des insurgés de l’État islamique, et beaucoup de choses restent à faire en matière de formation militaire et de renforcement des capacités. Selon les analystes, la pacification et la stabilisation à long terme de l’Iraq dépendraient même de la réconciliation intercommunautaire et des futures réformes politiques.

l’opération IMPACT

Les Forces armées canadiennes ont été déployées en Iraq en août-septembre 2014. L’État islamique, dont les visées consistaient à fonder un califat extrémiste, cherchait alors à étendre son emprise sur le territoire iraquien. Lors de la première mission du Canada, l’Aviation royale canadienne a transporté du matériel militaire jusqu’à Bagdad et Erbil pour approvisionner les forces de sécurité.

En plus des autres initiatives qui seront présentées dans les prochains paragraphes, le Canada a aussi participé, depuis cette première intervention, à des missions de ravitaillement aérien, de surveillance aérienne, de collecte et d’analyse de renseignements pour les forces de la coalition, en plus de s’occuper d’installations offrant des soins médicaux et chirurgicaux aux forces de sécurité. Les sapeurs de combat canadiens ont aussi enseigné aux forces de sécurité iraquiennes à contrer les menaces explosives.

Les chasseurs à réaction CF‑18 du Canada ont effectué des sorties du 30 octobre 2014 au 15 février 2016. Ils ont mené leur première frappe aérienne contre une cible de l’État islamique le 2 novembre 2014. Le 30 mars 2015, la mission aérienne s’est étendue à la Syrie.

Aujourd’hui, pas plus de 850 membres des Forces armées canadiennes ont l’autorisation de participer à l’opération Impact. Dernièrement, cette opération a été prolongée jusqu’à la fin de mars 2021.

La question kurde

Le Canada a déployé une part de plus en plus importante de ses forces spéciales pour mener une mission de conseil et d’aide dans le Nord de l’Iraq pendant la lutte contre l’État islamique. D’après ce reportage [en anglais seulement], ces activités ont été « suspendues temporairement » en octobre 2017 en raison d’escarmouches entre les forces peshmergas kurdes et les forces iraquiennes.

Ces échauffourées ont été déclenchées par le référendum du 25 septembre 2017 sur l’indépendance du Kurdistan. En effet, un conflit [en anglais seulement] existe depuis longtemps entre le gouvernement kurde de la région et le gouvernement central, à Bagdad, à propos de la délimitation des territoires en Iraq (l’étendue du territoire kurde) et la distribution des recettes tirées de l’exploitation du pétrole.

Bagdad, l’Iran, la Turquie et les États-Unis ont condamné [en anglais seulement] ce référendum. En octobre 2017, le gouvernement iraquien a entrepris de reprendre la ville multiethnique de Kirkouk et les champs pétrolifères environnants. Selon cet article [en anglais seulement], les forces que l’État iraquien a déployées contre les Kurdes comptaient des milices chiites dans leurs rangs.

Kirkouk se trouve au cœur des « territoires disputés » [en anglais seulement]. Les peshmergas ont occupé et défendu cette région lorsque l’État islamique s’est avancé dans le Nord de l’Iraq.

En décembre 2018, le chef d’état-major de la Défense, Jonathan Vance, a déclaré à un comité parlementaire qu’à l’époque où les efforts militaires de l’Iraq et de la Coalition étaient concentrés sur Mossoul et la région avoisinante, dans le Nord de l’Iraq, le Canada avait établi un partenariat « avec des unités sélectionnées des forces de sécurité iraquiennes, qui [avaient] toutes fait l’objet d’une enquête approfondie ». Il a ajouté que les forces canadiennes effectuaient alors « des opérations de sécurité avec les forces kurdes dans la région définie comme le Kurdistan ».

En 2016, le gouvernement canadien a annoncé son intention de fournir aux forces kurdes l’équivalent de 10 millions de dollars en armes légères, en munitions et en lunettes de visée. Or, la situation politique dans les mois qui ont suivi étant ce qu’elle est, ce matériel ne leur aurait [en anglais seulement] jamais été fourni. En novembre 2018, la Chambre des communes a appris que le matériel létal était entreposé à Montréal et que le matériel non létal se trouvait dans un entrepôt de Jordanie.

La nouvelle mission de l’OTAN

Lors du sommet de juillet 2018, à Bruxelles, les chefs des États membres de l’OTAN ont défini l’objectif de la nouvelle mission de formation et de renforcement des capacités : aider l’Iraq à développer un « secteur de la sécurité qui soit professionnel et qui ait l’obligation de rendre compte » pour assurer « la stabilité du pays et de l’ensemble de la région » ainsi que la sécurité des États membres de l’OTAN.

Parmi les 250 militaires canadiens qui participent à la mission de l’OTAN en Iraq, le major-général Dany Fortin commande une force composée d’environ 580 militaires de l’OTAN. L’Australie, la Finlande et la Suède font partie des autres partenaires.

Le Canada assume le commandement de la mission de l’OTAN depuis novembre 2018. Le premier ministre s’était d’abord engagé à un déploiement d’un an, mais le 26 juin 2019, le ministère de la Défense a annoncé que la responsabilité du Canada allait se poursuivre jusqu’en novembre 2020 et que le commandement de la mission allait être transféré à la brigadier-général Jennie Carignan à l’automne 2019.

Pendant l’élaboration de la mission, le secrétaire général de l’OTAN a déclaré [en anglais seulement] que celle-ci serait axée sur la formation des instructeurs iraquiens et sur la création d’écoles militaires en Iraq. La mission, à laquelle participe du personnel civil de l’OTAN, compte aussi des conseillers travaillant en collaboration avec des responsables du ministère de la Défense iraquien et du Bureau du conseiller à la sécurité nationale de l’Iraq. La formation permettra de répondre à plusieurs besoins [en anglais seulement] précis :

  • neutralisation des engins explosifs improvisés;
  • planification civile-militaire;
  • entretien des véhicules blindés;
  • médecine militaire.

L’annonce que le gouvernement canadien a faite en 2018 au sujet de la nouvelle mission de l’OTAN ne dit rien de précis sur les membres des forces de sécurité de l’Iraq qui vont recevoir de la formation. Certains analystes s’inquiètent que les milices iraquiennes – les Unités de mobilisation populaire [en anglais seulement] – participent au combat de l’Iraq contre l’État islamique et assurent la sécurité dans les territoires récupérés. Dans un décret rendu en mars 2018, le premier ministre de l’époque, Haïder al-Abadi, a voulu officialiser l’autorité de l’État sur les milices. Il leur aurait [en anglais seulement] donné accès aux instituts et aux collèges militaires de l’Iraq en les assujettissant toutefois aux lois militaires.

En décembre 2018, le général Vance a été convoqué devant un comité parlementaire pour parler de la mission de conseil et d’aide du Canada dans le Nord de l’Iraq. Il a alors dit que les militaires canadiens n’avaient jamais collaboré avec les Unités de mobilisation populaire et déclaré ceci : « [J]’ai donné l’ordre de nous exclure totalement de tout conflit auquel elles étaient mêlées. […] Cela dit, il appartient au gouvernement de l’Iraq […] de décider de sa relation de confiance [avec les Unités de mobilisation populaire]. Ce n’est pas à nous de le faire. »

Dans une entrevue [en anglais seulement] donnée en août 2018, le major-général Fortin a déclaré que la mission de formation de l’OTAN collaborera seulement avec des personnes qui relèvent directement et effectivement du gouvernement iraquien.

L’aide aux forces de sécurité : des leçons à tirer?

Les accomplissements et les échecs qui ont marqué les décennies d’aide aux forces de sécurité, notamment les longs déploiements militaires des États-Unis au Vietnam et en Afghanistan, ont été analysés afin d’en tirer des leçons. Les programmes de renforcement de la capacité des forces de sécurité visent généralement à ce que l’exercice du pouvoir repose sur les forces intérieures, et non sur les armées étrangères. L’objectif consiste aussi à ce que les conditions de sécurité établies se poursuivent après le retrait – complet ou partiel – des forces étrangères.

Selon les spécialistes, tout repose sur la gouvernance politique du pays bénéficiaire, les pratiques politiques mises en œuvre et le réalisme du pays partenaire par rapport à ce contexte. La relation d’aide ne se résume donc pas à fournir des armes et du matériel, et à montrer aux gens comment s’en servir.

Ressources supplémentaires

Allison Goody, « L’Iraq, après l’État islamique », Note de la Colline, Bibliothèque du Parlement, juillet 2019.

Mara Karlin, « Why Military Assistance Programs Disappoint: Minor Tools Can’t Solve Major Problems », Foreign Affairs, volume 96, numéro 6, novembre-décembre 2017.

Rapport de l’inspecteur général principal au Congrès américain, Operation Inherent Resolve [en anglais seulement], 1er janvier 2019 – 31 mars 2019, Département de la Défense, Bureau de l’inspecteur général, 7 mai 2019.

Stephen Biddle, Julia Macdonald et Ryan Baker, « Small footprint, small payoff: The military effectiveness of security force assistance », The Journal of Strategic Studies, vol. 41, nos 1 et 2, février 2018.

Auteure : Allison Goody, Bibliothèque du Parlement



Catégories :Affaires internationales et défense

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