(Available in English: Women Veterans Experience a Different Reality than Their Brothers in Arms)
Les statistiques
En février 2019, les femmes représentaient 15,7 % des membres des Forces armées canadiennes (FAC). D’ici 2026, les FAC visent à ce qu’un militaire sur quatre soit une femme. Pour y arriver, elles affirment mettre l’accent sur deux piliers clés : le recrutement et le maintien en poste.
Selon les données les plus récentes, environ 12 % des membres de la Force régulière qui sont libérés des FAC sont des femmes. Si les efforts des FAC en matière de recrutement des femmes sont fructueux, la proportion de femmes vétérans est susceptible d’augmenter graduellement au fil du temps.
L’analyse comparative entre les sexes plus
Pour l’instant, les vétéranes sont une fraction très minoritaire de la population des vétérans. Alors, sans une analyse qui prend en compte le genre, leurs expériences et leurs besoins risquent fort de passer inaperçus.
En juin 2017, Anciens Combattants Canada (ACC) a mis en œuvre une politique d’analyse comparative entre les sexes plus (ACS+) « afin de garantir que l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation de la recherche, des mesures législatives, des politiques, des programmes et des services du Ministère tiennent compte de tous les groupes de population ». Or, le Ministère est parmi les derniers à avoir adopté un cadre d’ACS +, plus de 20 ans après que le gouvernement fédéral s’est engagé à ce que tous les ministères et organismes fédéraux mettent en œuvre une telle approche d’analyse en 1995.
La transition à la vie civile
Cela ne signifie pas qu’ACC n’a fait aucun effort auparavant pour considérer les différences entre les femmes et les hommes vétérans. Par exemple, l’équipe de recherche du Ministère a publié en 2016 un article portant sur les différences entre les hommes et les femmes vétérans des FAC dans l’ajustement à la vie civile [en anglais seulement].
On y apprenait que les femmes étaient plus enclines que les hommes à signaler une transition difficile à la vie civile. Les vétéranes étaient plus sujettes à vivre avec une incapacité, à rapporter une moins bonne qualité de vie que celle des hommes et à souffrir d’un problème de santé mentale. Selon les chercheurs, cette proportion plus élevée de femmes qui déclarent une transition difficile à la vie civile pourrait s’expliquer, entre autres, par les différences entre les femmes et les hommes vétérans en ce qui a trait aux problèmes de santé physique et mentale, au stress, au sentiment de prise en charge de leur vie et à leur insatisfaction envers des aspects de la vie ou des relations sociales. Les chercheurs du Ministère en ont conclu que plus de recherche portant sur les différences entre les femmes et les hommes vétérans était nécessaire, un constat partagé par plusieurs chercheurs dans le domaine.
La santé mentale et psychologique
En 2017, dans son Étude sur la mortalité par suicide chez les vétérans, ACC a constaté que les vétéranes présentaient un plus grand écart de taux de suicide par rapport à celui des femmes canadiennes en général que les hommes. Les hommes vétérans présentaient, en moyenne, 1,4 fois plus de risque de suicide, comparativement aux hommes canadiens en général, les hommes les plus jeunes étant les plus à risque. Les femmes vétérans présentaient, en moyenne, 1,8 fois plus de risque de suicide, comparativement aux femmes canadiennes en général, cette conclusion s’appliquant tant aux jeunes femmes qu’aux plus âgées. ACC avait alors affirmé que ces conclusions serviraient à documenter les activités de prévention du suicide à l’intention des vétérans des FAC, et que d’autres analyses seraient menées sur les facteurs associés au suicide chez les vétérans.
La question de la santé mentale et psychologique des femmes militaires et vétéranes a été propulsée à l’avant-plan avec la publication en 2015 du rapport de l’examen externe sur l’inconduite sexuelle et le harcèlement sexuel dans les Forces armées canadiennes par l’ex-juge à la Cour suprême, Marie Deschamps.
Des chercheurs y ont vu un signal clair qu’il était essentiel d’adopter une approche d’analyse qui prend en considération le genre [en anglais seulement] afin de mieux comprendre et d’accroître la santé et le bien-être des militaires et vétérans.
En effet, les traumatismes de nature sexuelle vécus dans les FAC ont d’énormes conséquences pour les survivantes et survivants. Des études [en anglais seulement] ont démontré qu’entre 16 % et 27 % des femmes militaires et entre 1 % et 4 % des hommes ont signalé avoir été victimes d’une agression sexuelle en contexte militaire et qu’une telle agression augmente considérablement leur risque de souffrir d’un problème de santé mentale, particulièrement le trouble de stress post-traumatique.
Outre les impacts sur la santé mentale, les incidents d’inconduite sexuelle ont aussi des répercussions sur la carrière des victimes [en anglais seulement], comme un changement d’unité ou même leur libération prématurée des FAC. De plus, les facteurs liés au genre affectant les carrières des femmes militaires ont des répercussions bien après leur libération des FAC.
La carrière : dans les Forces armées canadiennes et après
ACC a constaté [en anglais seulement] que deux groupes de vétérans avaient des taux d’emploi plus bas et subissaient des pertes de revenus plus importantes à la suite de leur libération des FAC : les vétérans libérés pour conditions médicales, et les femmes.
Trois ans après leur libération des FAC, les femmes avaient un revenu total de 21 % inférieur à celui qu’elles touchaient dans les FAC, alors que les hommes avaient exactement le même revenu. Quant au salaire moyen gagné après trois ans, il était de 51 % moins élevé chez les femmes, comparativement à 34 % moins élevé chez les hommes.
Figure 1 – Revenu total et salaire moyens des vétérans avant leur libération des FAC et trois ans après, selon le genre, 1998-2014
Source : Données d’ACC de 2010 et 2013 tirées de : Mary Beth MacLean et al., (Anciens Combattants Canada), Labour market outcomes of Veterans, 30 janvier 2019.
Le revenu total inférieur des femmes peut s’expliquer, entre autres, par le fait que celles-ci touchent en général une plus petite pension que celle des hommes, car elles sont plus nombreuses à ne pas avoir servi dans les FAC pendant 20 ans ou plus, ce qui les rend inadmissibles à une pleine pension. D’autre part, puisque les vétéranes sont beaucoup plus enclines à travailler à temps partiel après leur libération (25 %) comparativement aux hommes (9 %), cela peut expliquer leur salaire moyen inférieur. Leur taux de participation au sein de la population active est aussi moindre que celui des hommes. Cela s’explique en partie parce qu’elles sont plus nombreuses à déclarer que leur activité principale est de prodiguer des soins à un parent ou un conjoint et/ou qu’elles perçoivent une prestation d’invalidité.
Finalement, le type d’occupation dans les FAC pourrait aussi avoir une incidence sur les résultats des vétéranes sur le marché du travail. Bien que les femmes représentent presque 16 % des FAC, elles n’occupent que 4 % des métiers d’armes de combat. La majorité d’entre elles exercent un rôle administratif. En moyenne, après avoir été libérés, les vétérans d’une carrière dans un rôle administratif subissent une plus grande diminution de leur salaire que les autres vétérans, possiblement liée à la sous-rémunération des domaines d’emploi typiquement féminins dans la société en général. Par ailleurs, toujours selon ces données, alors qu’il y a plus d’emplois civils comparables dans l’administration que dans les métiers d’armes de combat, les vétéranes, dans une moindre mesure que leurs confrères, considèrent que leurs compétences acquises dans les FAC sont transférables à des postes dans le monde civil.
Et maintenant?
Puisque les résultats sur le marché du travail et les indicateurs de santé et bien-être diffèrent pour les sous-groupes de la population des vétérans, des approches ciblées axées sur les particularités de ces sous-groupes sont essentielles. En fait, les chercheures qui s’intéressent à l’intégration d’une perspective genrée (« gender mainstreaming ») dans la recherche militaire estiment qu’une politique aveugle aux questions de genre produit des résultats discriminatoires et rend ainsi l’expérience des femmes plus difficile qu’elle ne doit l’être.
Alors que l’on commence à peine à se pencher sur la réalité des femmes militaires et vétéranes et que beaucoup de travail reste à faire, l’ACS+ nous encourage à intégrer dans notre analyse les autres facteurs identitaires, en plus du genre, qui viennent façonner la réalité des gens. La réalité des femmes militaires et vétéranes, bien qu’elle diffère de celle des hommes, n’est pas homogène. On compte, par exemple, des vétéranes jeunes et d’autres plus âgées, certaines qui vivent avec un handicap, qui sont issues d’un groupe racisé, d’une communauté autochtone, ou qui s’identifient comme personnes LGBTQ+. Il faut réfléchir de façon créative et inclusive de manière à développer des politiques efficaces qui tiennent compte des expériences et des besoins des femmes qui ont servi notre pays.
Ressources supplémentaires
Munn-Rivard, Laura. L’analyse comparative entre les sexes plus au Canada, Ottawa, Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement, 26 mai 2017.
Auteure : Isabelle Lafontaine-Émond, Bibliothèque du Parlement
Catégories :Affaires internationales et défense, Affaires sociales et communautaires, Santé et sécurité