(Available in English: A Human Rights Approach to Climate Change: What Is the State of the Law in Canada?)
Partout dans le monde, les gouvernements font de plus en plus souvent l’objet de poursuites judiciaires relatives aux droits de la personne pour leur inaction vis-à-vis les changements climatiques. Plus de 20 poursuites [en anglais seulement] sont actuellement en instance devant des tribunaux nationaux et régionaux. Nombre d’entre elles ont été intentées par des acteurs de la société civile représentant de grands groupes de personnes et ont pour but de léguer un environnement viable aux générations de demain.
En novembre 2018, une demande a été déposée auprès de la Cour supérieure du Québec au motif que les actions du gouvernement du Canada en matière de changements climatiques violeraient les droits des jeunes. En l’occurrence, ENvironnement JEUnesse soutient qu’il y aurait violation du droit à la vie et à la sécurité des jeunes ainsi que de leur droit à l’égalité, garantis respectivement par les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Ces cas nous amènent à nous demander si les droits environnementaux pourraient, aujourd’hui ou demain, être protégés par la Charte.
Le contexte international
La première poursuite se basant sur les droits de la personne ayant été fructueuse contre la stratégie d’un gouvernement en matière de changements climatiques est survenue aux Pays-Bas en 2015. Dans l’affaire Urgenda Foundation v. The Netherlands [en anglais seulement], la Cour a ordonné que le gouvernement des Pays-Bas réduise les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25 % par rapport aux niveaux de 1990. Cette décision reposait sur des principes de droit civil et constitutionnel néerlandais, de même que sur les droits à la vie et à la famille prévus dans la Convention européenne des droits de l’homme. En 2018, la Cour d’appel de La Haie a confirmé cette décision, soutenant qu’au regard du consensus scientifique international et des droits fondamentaux, c’était le minimum que le gouvernement devait à ses citoyens.
L’affaire Urgenda a inspiré d’autres poursuites semblables dans le monde. Des poursuites intentées contre l’Union européenne [en anglais seulement] et différents pays européens visent à produire des résultats équivalents à ceux de l’affaire Urgenda, au motif que les cibles de réduction des gaz à effet de serre sont insuffisantes et violent les droits fondamentaux à la vie, à la santé et à l’égalité que prévoient les constitutions et les engagements pris en vertu de traités internationaux.
Aux États-Unis, dans l’affaire Juliana v. United States [en anglais seulement], des jeunes soutiennent que les politiques, les actions et les omissions nationales causant des changements climatiques violent leurs droits constitutionnels à la vie, à la liberté et à la propriété. En 2016, l’affaire s’est butée à une requête en irrecevabilité, mais la Cour de district des États-Unis a finalement statué que les tribunaux étaient bel et bien compétents à trancher les questions soulevées dans la poursuite. Toutefois, en décembre 2018, l’affaire demeurait confrontée à diverses difficultés procédurales et les questions de fond n’avaient toujours pas été entièrement examinées.
Malgré leurs points communs, chaque cas doit être tranché, au bout du compte, dans le contexte de droits constitutionnels nationaux, de procédures juridiques, de recours judiciaires et de règles d’interprétation des traités internationaux. Autrement dit, ces cas ne s’appliquent pas directement au Canada.
Le contexte juridique canadien
En 1995, la Cour suprême du Canada a reconnu, dans l’affaire Ontario c. Canadien Pacifique Limitée, que la protection de l’environnement était une valeur fondamentale dans la société canadienne. Ainsi, de l’avis de la Cour, elle doit faire preuve de retenue en ce qui concerne la constitutionnalité des infractions à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement. La valeur fondamentale de la protection de l’environnement se reflète aussi dans les lois canadiennes et dans la jurisprudence du Canada de manière plus large. Par exemple, il est bien établi que les entreprises peuvent être tenues responsables d’avoir enfreint des lois et des règlements sur la protection environnementale, et que l’on peut contester des décisions du gouvernement sur la base de l’iniquité procédurale. Toutefois, pour contester des politiques environnementales de portée complexe et nationale en se fondant sur les droits de la personne, il faudrait toutefois tenir compte d’autres facteurs.
La Charte ne prévoit pas explicitement de droits environnementaux ou de droits à la propriété. Toutefois, cela n’empêche pas les tribunaux d’examiner si les dommages environnementaux ont un impact sur les droits à la vie, à la sécurité ou à l’égalité, droits qui sont, eux, solidement établis et protégés à la fois par la Charte et le droit international en matière de droits de la personne.
Plusieurs décisions du gouvernement ont été contestées dans le domaine environnemental, allant de l’élimination des déchets aux normes de pollution industrielle, en passant par l’exploitation gazière et pétrolière, sur la base de dommages projetés pour la santé des personnes vivant à proximité et de leurs droits à la vie et à la sécurité. Selon des observateurs, la portée de ces droits dans le contexte environnemental est cependant loin d’être tranchée, en partie parce que la plupart des contestations ont été retirées ou rejetées pour des motifs techniques.
Par exemple, en 2012, des membres de la Première Nation Aamjiwmaang ont demandé une révision judiciaire de la décision du gouvernement de l’Ontario d’augmenter la limite autorisée d’émission industrielle de soufre. Ils soutiennent dans l’affaire Lockridge v. Director, Ministry of the Environment [en anglais seulement] que la décision viole leurs droits à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’égalité que garantit la Charte.
L’affaire a survécu à une requête en irrecevabilité et la Cour supérieure de l’Ontario a résumé les critères qui s’appliqueraient pour établir une violation des droits garantis par la Charte dans ce contexte. Toutefois, en réponse aux changements de politique apportés par le gouvernement, la poursuite a été retirée [en anglais seulement] avant qu’on puisse appliquer les critères en question dans le cadre d’un procès.
La plupart des contestations environnementales fondées sur les droits de la personne comme Lockridge portent sur des dommages de portée locale. Certaines ont toutefois tenté de dénoncer le phénomène général des changements climatiques sans invoquer les droits constitutionnels ou de la personne. La Cour fédérale du Canada a en effet été saisie de deux affaires, qu’elle a rejetées, portant sur la Loi de mise en œuvre du Protocole de Kyoto : la première en 2008, au motif que les obligations prévues par la Loi n’étaient pas respectées, puis une seconde en 2012, après la décision du Canada de se retirer du Protocole. Les contestations n’étaient pas fondées sur des allégations de violation de droits, mais s’appuyaient plutôt sur le libellé de la Loi.
Il est arrivé que l’on combine un argument fondé sur les droits de la personne à une question environnementale de grande portée, par le truchement du droit non contraignant régissant les engagements internationaux du Canada. En 2013, le Conseil des Athabascans de l’Arctique a déposé auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme une pétition [en anglais seulement] affirmant que l’absence de réglementation efficace du Canada sur les émissions de carbone noir violait leur droit à la culture, leur droit à la propriété ainsi que leur droit à la santé consacrés par la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme.
La pétition comprenait une déclaration d’un rapporteur spécial de la Commission du droit international de l’ONU, selon laquelle « les effets du réchauffement planétaire et de la pollution environnementale touchent particulièrement les chances de vie des peuples autochtones du Nord du Canada » et qu’il s’agissait d’une « question de droit de la personne exigeant l’attention immédiate des autorités nationales et internationales » [traduction]. La Commission n’a pas encore rendu sa décision.
Bien que les obligations et les engagements internationaux n’ont pas automatiquement force contraignante devant les tribunaux canadiens, ceux-ci s’efforcent, dans la mesure du possible, d’interpréter le droit canadien de manière à ce qu’il soit conforme au droit international, comme l’a souligné la Cour suprême dans Baker c. Canada. Qui plus est, selon des observateurs, les faits reprochés pourraient entraîner, pour le Canada, l’obligation juridique d’examiner sa politique à l’égard du carbone noir en consultation avec les Inuits canadiens. Cette obligation serait justifiée par l’impact disproportionné du carbone noir sur l’Arctique, les droits issus des traités concernant l’exploitation traditionnelle ainsi que le devoir de la Couronne d’agir de manière honorable dans ses relations avec les peuples autochtones.
Le nombre limité de recours juridiques disponibles constitue sans doute l’un des plus grands obstacles dans ce type d’affaires. Rien dans la jurisprudence ne tend à indiquer que l’article 7 de la Charte imposerait à l’État une obligation positive de garantir à chacun la vie, la liberté et la sécurité de sa personne; on considère plutôt que l’article 7 restreint la capacité de l’État de porter atteinte à ces droits. Dans un autre contexte, portant sur des prestations d’aide sociale, la Cour suprême a souligné dans Gosselin c. Québec qu’il était « possible qu’on juge un jour que l’article 7 a pour effet de créer des obligations positives ». En attendant ce jour, la principale difficulté, pour les poursuites impliquant droits de la personne et changements climatiques, sera sans doute, selon certains observateurs, d’établir un lien de cause à effet entre les dommages découlant des changements climatiques et une mesure précise prise par l’État.
Ressources supplémentaires
Collins, Lynda M., « An Ecologically Literate Reading of the Canadian Charter of Rights and Freedoms », Windsor Review of Legal and Social Issues, vol. 26, no 1, février 2009.
Collins, Lynda M., « Safeguarding the Longue Durée: Environmental Rights in the Canadian Constitution », The Supreme Court Law Review: Osgoode’s Annual Constitutional Cases Conference, vol. 71, no 20, 2015 [en anglais seulement].
Nanda, Avnish, « Heavy Oil Processing in Peace River, Alberta: a Case Study on the Scope of Section 7 of the Charter in the Environmental Realm », Journal of Environmental Law and Practice, vol. 27, no 2, avril 2015.
Sabin Center for Climate Change Law, « Climate Change Litigation Databases » [en anglais seulement].
Stevenson, Flora da Silva Côrtes, « The Duty to Consult the Inuit in Canada’s Black Carbon Policy Inaction », Journal of Environmental Law and Practice, vol. 30, no 2, mai 2017.
Auteur : Robert Mason, Bibliothèque du Parlement
Catégories :Agriculture, environnement, pêches et ressources naturelles, Lois, justice et droits