(Available in English: Efforts to Combat Snow Washing: Canada Moves Towards a Beneficial Ownership Registry)
Propriété effective et blanchiment d’argent
Quand son activité criminelle génère des profits substantiels, un individu ou un groupe contrôlera inévitablement ces fonds de manière à ne pas attirer l’attention des autorités. Cette façon de faire s’appelle le blanchiment d’argent, une infraction selon le paragraphe 462.31(1) du Code criminel définie au sens large comme le fait de dissimuler la source de l’argent ou des biens découlant d’une activité criminelle.
Dans bien des pays, dont le Canada, les entreprises se voient accorder le même statut juridique que les êtres humains. Elles peuvent donc acheter des biens, devoir des impôts, conclure des contrats et être déclarées coupables de crimes. Les autorités et l’administration fiscale s’intéressent naturellement aux personnes qui contrôlent une entreprise lors de la perpétration d’un crime ou de l’exercice d’une activité assujettie à l’impôt. Or, les entreprises ont aussi le droit de posséder légitimement d’autres entreprises, appelées des « sociétés-écrans », et de créer un réseau complexe de relations de propriétés qui occultent les propriétaires réels de ces entités. Le propriétaire légitime d’une entreprise est la personne ou l’entité qui en détient au moins 51 % des parts.
Un « propriétaire légitime » d’un bien a le titre juridique de propriété à son nom, tandis que le « bénéficiaire effectif » d’un bien retire des bénéfices de la propriété même si son nom n’est pas inscrit sur le titre. En effet, quiconque n’est pas le propriétaire légitime d’une entreprise peut détenir de manière directe ou indirecte le pouvoir d’influer sur les actions de l’entreprise et peut donc être considéré comme son bénéficiaire effectif. Fait à noter, la propriété légitime et la propriété effective ne sont pas mutuellement exclusives.
Les entreprises sont commodes pour blanchir l’argent puisqu’elles aident aussi à dissimuler l’identité du propriétaire. Par exemple, un groupe d’individus qui tirent leurs revenus du narcotrafic souhaitent masquer la source de leurs fonds. Ils constituent une entreprise qui se sert habituellement d’argent comptant, puis déposent des fonds d’origine criminelle dans ses comptes en prétendant que les fonds sont des recettes légitimes. Ils se versent ensuite à eux-mêmes ou à leurs conjoints ou conjointes un salaire d’apparence légitime pour avoir « exploité » l’entreprise. Si elles dissimulent la propriété d’une entreprise qui privilégie les paiements comptant grâce à un enchaînement de sociétés-écrans, ces personnes cesseront d’en être les propriétaires légitimes, mais en demeureront les bénéficiaires effectifs selon la loi canadienne.
Le mouvement international des registres des bénéficiaires effectifs
Pour les empêcher de blanchir l’argent, le Royaume‑Uni exige de toutes les entreprises qui exercent leurs activités sur son territoire de fournir à la Companies House, un organisme gouvernemental, certains renseignements sur les bénéficiaires effectifs (aussi appelés « personnes qui exercent un contrôle important ») de leur entreprise ou société. La Companies House inscrit par la suite une grande partie de ces renseignements dans un registre public.
En mai 2015, la Commission européenne a adopté la quatrième directive anti-blanchiment et financement du terrorisme, selon laquelle chaque État membre est tenu de créer un registre central des bénéficiaires effectifs, qui serait, à tout le moins, accessibles aux autorités compétences, aux cellules de renseignement financier et à certaines entités déterminées.
Propriété d’entreprises au Canada
Une entreprise peut être constituée au Canada soit sous le régime fédéral de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, soit sous le régime de constitution d’entreprises de la province ou du territoire où l’entreprise exerce ses activités. Certains renseignements sur l’entreprise sont recueillis et rendus publics lors de la constitution de l’entreprise, dont le nom et l’adresse de ses administrateurs. Ceux-ci ne sont pas tenus d’en être les propriétaires légitimes ni les bénéficiaires effectifs. Ces renseignements sont d’ailleurs conservés par l’administration où l’entreprise a été constituée. Il n’y a donc aucun registre central et, en général, aucun renseignement sur les bénéficiaires effectifs consignés.
À cause du manque de renseignements sur les bénéficiaires effectifs canadiens notamment, des auteurs d’articles de journaux récents [en anglais seulement] et des experts ont baptisé le Canada le pays du blanchiment à la neige, à savoir l’acte de blanchir l’argent grâce à des entreprises canadiennes. On a également établi des liens entre des propriétaires anonymes d’entreprises avec les étrangers propriétaires de résidences dans des marchés à forte valeur comme Vancouver, ce qui contribue au prix anormalement élevé des propriétés dans cette ville.
Actions du Canada pour les registres de bénéficiaires effectifs
Comme ils l’ont annoncé le 11 décembre 2016, les ministres fédéral et provinciaux des Finances se sont entendus pour poursuivre des modifications aux lois sur les sociétés fédérales, provinciales et territoriales ou aux autres lois pertinentes afin que les sociétés tiennent des renseignements exacts et à jour sur les bénéficiaires effectifs, lesquels renseignements seront mis à la disposition des organismes d’application de la loi, ainsi qu’à la disposition des autorités fiscales et autres. Certaines de ces modifications ont été proposées à l’échelon fédéral dans le projet de loi C‑86, qui a reçu la sanction royale le 13 décembre 2018.
À compter de la mi-2019, la plupart des entreprises privées constituées sous le régime fédéral seront tenues — sous réserve de certaines conditions relatives à la protection des renseignements confidentiels — de dresser et de tenir à jour la liste de leurs bénéficiaires effectifs, ou les « particuliers ayant un contrôle important », qui possèdent directement ou indirectement au moins 25 % des parts ou des droits de vote dans la société.
Sous ce régime, les bénéficiaires effectifs ne peuvent être une autre entreprise ou entité; il doit s’agir d’une personne physique. Les entreprises seront exposées à des amendes maximales de 5 000 $ à défaut de prendre des mesures raisonnables pour vérifier, conserver et régulièrement contrôler le nom, la date de naissance, la dernière adresse connue, l’administration fédérale, provinciale ou territoriale à des fins fiscales de toutes les personnes qui deviennent ou cessent d’être des bénéficiaires effectifs, en plus de la description de leur contrôle, leurs intérêts et leurs droits dans l’entreprise. Les administrateurs d’une entreprise sont exposés à titre personnel à des amendes d’au plus 200 000 $ ou à une peine d’emprisonnement maximale de six mois s’ils contreviennent ou aident sciemment à la contravention de ces exigences. Il en va de même pour les actionnaires s’ils ne remettent pas rapidement des renseignements complets et exacts.
Ces modifications ne créent certes pas un registre central des renseignements sur les bénéficiaires, mais les entreprises seront désormais tenues de divulguer les informations inscrites dans leurs propres registres à la demande d’une personne nommée par le ministre de l’Industrie. En outre, les mesures ne visent pas les demandes d’accès à l’information présentées par les autorités ou les agents du fisc, comme c’est le cas en Europe. De manière générale, ces mesures semblent jeter les bases d’un futur registre, puisque le gouvernement fédéral attend des mesures correspondantes de la part des provinces et territoires.
Auteur : Brett Capwell, Bibliothèque du Parlement
Catégories :Industrie, entreprises et commerce, Lois, justice et droits