Restructuration de l’appareil gouvernemental : portefeuille des affaires autochtones

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(Available in English: Changing the Machinery of Government: Indigenous Affairs Portfolio)

Il y a maintenant plus de vingt ans, la Commission royale sur les peuples autochtones recommandait « que le gouvernement du Canada dépose une loi visant à dissoudre le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et à le remplacer par deux nouveaux ministères : le ministère des Relations avec les autochtones et le ministère des Services aux Indiens et aux Inuit[1] ». Dans le contexte particulier des années 1990, de tels changements institutionnels devaient servir de « compléments nécessaires » aux nombreuses réformes et mesures proposées par la Commission afin d’établir un « partenariat moderne » entre le Canada et les peuples autochtones. Elle proposait, par exemple, d’enchâsser les fondements de la nouvelle relation entre le Canada et les peuples autochtones dans une nouvelle proclamation royale. De telles recommandations n’ont cependant jamais été entérinées.

Articulant son raisonnement autour de la recommandation de la Commission, le premier ministre a annoncé en août 2017 son intention de restructurer l’appareil gouvernemental afin de créer deux nouveaux ministères : le ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord Canada (RCAANC), et le ministère des Services aux Autochtones Canada (SAC). Il est prévu que des modifications législatives seront proposées en 2018 afin d’officialiser ces changements et de formellement remplacer l’ancien ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (AINC)[2].

Mandats et responsabilités

Dans l’intervalle, RCAANC et SAC opèrent selon les paramètres établis par des décrets du Conseil privé du Canada. En vertu d’un premier décret, un ministre d’État portant le titre de ministre des Services aux Autochtones a été désigné responsable du ministère éponyme, lequel a été ajouté à l’annexe I.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques. En vertu d’un second décret, les responsabilités à l’égard de la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits, du Secteur des programmes et des partenariats en matière d’éducation et de développement social, et du Secteur des opérations régionales ont été transférées à SAC. Ce dernier ministère devient ainsi responsable des programmes et services en matière de santé, d’éducation, d’aide à l’enfance, à la famille et aux individus, d’infrastructure communautaire et d’aide à la gestion des urgences.

De facto, RCAANC est pour sa part responsable des autres dossiers du portefeuille des affaires autochtones, c’est-à-dire de la négociation et la mise en œuvre des traités et des ententes, du règlement des griefs historiques et des autres revendications, de la consultation et l’accommodement des peuples autochtones, des affaires individuelles (par exemple, les inscriptions au registre des Indiens[3]), de la résolution des questions relatives aux pensionnats indiens, de la gestion des terres, des ressources naturelles et de l’environnement, et du développement économique[4]. Comme son nom l’indique, RCAANC est également en charge des affaires du Nord.

Bien que la forme finale que prendra la nouvelle structure gouvernementale dépende du résultat des consultations auprès des peuples autochtones, RCAANC et SAC ont tous les deux déjà identifié certaines priorités dans leur plan ministériel respectif. Dans son plan ministériel, RCAANC identifie trois domaines prioritaires : le renouvellement de la relation entre le Canada et les peuples autochtones, l’autodétermination ainsi que le développement du Nord. Pour sa part, SAC identifie dans son plan ministériel cinq domaines prioritaires : la santé, l’éducation, les enfants et familles, l’infrastructure et l’établissement d’une nouvelle relation financière avec les peuples autochtones. On sait également que SAC a été mis sur pied avec comme objectif sa propre obsolescence, alors que les peuples autochtones deviendront graduellement responsables de l’administration des programmes et des services appropriés.

Selon le Budget principal des dépenses 2018-2019, SAC et RCAANC prévoient des dépenses budgétaires totalisant 12,4 milliards de dollars pour l’année 2018-2019. À titre comparatif, AINC prévoyait des dépenses de 10,1 milliards de dollars pour l’année 2017-2018 dans le précédent budget principal des dépenses. Selon leur plan ministériel respectif, SAC et RCAANC emploieront respectivement 3 787 et 3 108 équivalents temps pleins (ETP) pour leurs responsabilités essentielles et services internes en 2018-2019. À titre comparatif, AINC prévoyait disposer de 4 627 ETP l’année précédente. Ces différences s’expliqueraient en majeure partie par le transfert de la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits de Santé Canada à SAC.

Les priorités et responsabilités des ministères pourraient changer à la suite de modifications législatives.

Réactions à la restructuration

Tant que la forme finale des nouveaux ministères ne sera pas connue, il demeurera difficile de déterminer les impacts de tels changements institutionnels. Selon un récent résumé des consultations, certains participants craignent que la transformation des institutions gouvernementales engendre de la confusion relative aux responsabilités du gouvernement et à la prestation des services pour les populations autochtones.

Si certains comme le chef national Perry Bellegarde de l’Assemblée des Premières Nations affichent un « optimisme prudent » [en anglais seulement], d’autres émettent des réserves face à ces changements. Sans nécessairement remettre en question le bien-fondé de la restructuration, le chef Ghislain Picard de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador a, de son côté, souligné que les peuples autochtones n’avaient pas été consultés avant l’annonce d’août 2017[5].

En 1996, la Commission royale sur les peuples autochtones soulignait que « ces changements institutionnels sont nécessaires mais insuffisants pour opérer la transformation souhaitée » de la relation entre la Couronne et les peuples autochtones. Cette restructuration devait s’inscrire au cœur de réformes plus profondes. Selon la Commission, le remplacement d’AINC par deux nouveaux ministères n’était pas une fin en soi, mais plutôt une étape additionnelle vers la réconciliation et le renouvellement de la relation entre le Canada et les premiers peuples.

Ressources additionnelles :

Affaires autochtones et du Nord Canada, Commission royale sur les peuples autochtones, Points saillants du Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, Ottawa, 1996.

Affaires indiennes et du Nord Canada, Une histoire des Affaires indiennes et du Nord Canada.

Collier, Brittany. Dépenses et compétences à l’égard des Premières Nations, des Métis et des Inuits, Ottawa, Bibliothèque du Parlement, 26 janvier 2016.

Derworis, Colette E. Ministères fédéraux des Affaires autochtones et du Nord, Historica Canada, 18 juillet 2018.

Auteurs : Olivier Leblanc-Laurendeau et Michael Chalupovitsch, Bibliothèque du Parlement

[1]       Commission royale sur les peuples autochtones, Volume 2 : Une relation à redéfinir, Rapport final, 1996.

[2]       Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a été connu sous différentes appellations au fil des années. Toutefois, l’appellation légale du ministère est demeurée la même.

[3]       L’article 5(1) de la Loi sur les Indiens prévoit la tenue par le Ministère d’un « registre des Indiens où est consigné le nom de chaque personne ayant le droit d’être inscrite comme Indien en vertu de la présente loi ». Le statut d’Indien est un statut juridique.

[4]       Un tableau détaillé de ses responsabilités essentielles est disponible aux pages 42 et 43 du plan ministériel de RCAANC.

[5]       Sénat du Canada, Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, 42e législature, 1re session, Témoignages, 12 juin 2018.



Catégories :Affaires autochtones, Gouvernement, Parlement et politique

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