150 ans de bilinguisme législatif au Canada : d’hier à aujourd’hui

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(Available in English: 150 years of legislative bilingualism in Canada: past and present)

Cette Note de la Colline trace un portrait à la fois historique et contemporain de l’évolution du bilinguisme législatif dans le contexte parlementaire canadien.

La genèse d’un compromis politique

À l’aube de la Confédération canadienne

Des revendications touchant au bilinguisme des lois et des documents parlementaires ont précédé la Confédération dans le but de garantir aux minorités linguistiques une interaction avec les institutions parlementaires dans la langue de leur choix. L’Acte d’Union de 1840 avait consacré l’anglais comme seule langue officielle de la législation et des documents de la législature.

Des obligations de nature linguistique

Des voix se sont soulevées au moment des négociations constitutionnelles pour inclure des mesures de protection aux langues française et anglaise dans la Loi constitutionnelle de 1867 (« Constitution »).

Au Nouveau-BrunswickÀ l’époque, des Acadiens auraient souhaité que des dispositions en matière de bilinguisme législatif s’appliquent au Nouveau-Brunswick. Bien que certains des débats et des lois de la Législature aient été traduits en français de temps à autre, les Acadiens ont dû attendre jusqu’en 1969 pour que cette obligation soit inscrite dans la Loi sur les langues officielles provinciale, puis jusqu’en 1982 pour qu’elle soit enchâssée aux alinéas 17(2) et 18(2) de la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte »). L’alinéa 16(2) de la Charte reconnaît désormais au français et à l’anglais un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Nouveau-Brunswick.L’évolution du bilinguisme législatif et son interprétation actuelleLa chronologieAu fil des ans, plusieurs événements déterminants ont contribué à l’évolution du bilinguisme législatif dans le contexte du Parlement fédéral. En voici une chronologie :L’interprétation par les tribunauxPlusieurs décisions judiciaires ont précisé la teneur du bilinguisme législatif garanti par l’article 133 de la Constitution. Voici l’interprétation qu’ont donnée les tribunaux à cette disposition :Un cas de figure : la corédaction des lois fédéralesUn retour dans le tempsEn 1976, dans son rapport annuel, le commissaire aux langues officielles avait révélé une entrave à l’égalité de statut des deux langues officielles en matière de législation, notamment en ce qui concerne les méthodes utilisées pour rédiger les lois fédérales. Celui-ci avait alors recommandé au ministère de la Justice de mettre en œuvre un plan qui assurerait l’égalité des deux langues officielles dans la rédaction des lois et l’examen des règlements, en respectant le génie de chaque langue et le bijuridisme canadien ainsi qu’en favorisant la corédaction.Les avantages de la corédactionLa corédaction favorise l’égalité de statut des deux langues officielles étant donné qu’elle assure que les versions anglaise et française d’un texte de loi sont autonomes, que chacune d’entre elles reflète normalement les instructions ministérielles et qu’ « [a]ucune des deux versions n’est subordonnée à l’autre ». De plus, la corédaction reflète le bijuridisme canadien, car elle implique des conseillers législatifs qui connaissent bien les deux régimes juridiques du Canada : la common law et le droit civil.L’interprétation des lois bilinguesAu fil des ans, les tribunaux ont défini que les versions française et anglaise d’un texte de loi font égale autorité. D’ailleurs, cette règle d’interprétation a été codifiée à l’article 18 de la Charte et à l’article 13 de la Loi sur les langues officielles. De même, puisque les versions française et anglaise d’un texte de loi formulent les mêmes notions, les tribunaux ont déterminé que la règle du sens commun selon laquelle il faut dégager « le sens qui est commun aux deux versions » doit être utilisée pour interpréter les lois bilingues.Les défis qui restent à releverSomme toute, le bilinguisme législatif compte parmi les domaines où la reconnaissance du statut et de l’égalité des deux langues officielles est presque acquise dans le contexte parlementaire canadien. Malgré les acquis et le modèle qu’incarne le Parlement canadien à plusieurs égards, certains ont poussé la réflexion sur le bilinguisme un peu plus loin.Une Constitution bilingue?Des débuts de la Confédération jusqu’à l’adoption du Statut de Westminster, le Parlement britannique légiférait au nom du Canada et, ce faisant, la Constitution de 1867 n’a donc été entérinée par le Royaume-Uni qu’en anglais. À ce jour, il n’existe aucune version française officielle de ce texte constitutionnel. Pourtant, l’article 55 de la Charte prévoit qu’une version française doit être rédigée « dans les meilleurs délais ». Dans le cadre des célébrations du 150e anniversaire de la Confédération, certains ont demandé à ce que le gouvernement fédéral répare ce tort du passé. Malgré le travail accompli par le comité de rédaction constitutionnelle française au début des années 1990, cette demande est restée jusqu’ici lettre morte, puisqu’aucune résolution constitutionnelle n’a fait suite aux démarches de ce comité dans le contexte de l’échec de l’Accord du Lac Meech et de l’Accord de Charlottetown.SourcesBastarache, Michel. Le droit de l’interprétation bilingue, Montréal, LexisNexis, 2009.Bureau du Conseil privé. Partie 2 – Élaboration des lois.Commissariat aux langues officielles. Sixième rapport annuel – 1976, Ottawa, 1977.Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, Rapport de la Commission d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, Livre 1 : Introduction générale Les langues officielles, 1967, p. XI et XII.Doucet, Michel. « Le bilinguisme législatif », dans Michel Bastarache (dir.), Les droits linguistiques au Canada, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013.Doucet, Michel. « Les Acadiens du Nouveau-Brunswick et la Confédération », L’Acadie Nouvelle, 20 février 2017.Foucher, Pierre. « Une constitution entièrement bilingue pour le Canada en 2017? », Blogue de l’Observatoire international des droits linguistiques, 16 novembre 2015.McLaren, Karine. « Bilinguisme législatif : regard sur l’interprétation et la rédaction des lois bilingues au Canada », vol. 45, no 1, Revue de droit d’Ottawa, 2014, p. 21 à 37.Migneault, Gaétan. « La législation bilingue du Nouveau-Brunswick », Les Cahiers de droit, vol. 55, no 3, 2014, p. 619 à 644.Migneault, Gaétan. Les Acadiens du Nouveau-Brunswick et la Confédération, Lévis, Les Éditions de la Francophonie, 2009.The Canadian Pacific Railway Co. c. Robinson, [1891] 19 S.C.R. 292. [DISPONIBLE EN ANGLAIS SEULEMENT]The King v. Dubois, [1935] S.C.R. 378. [DISPONIBLE EN ANGLAIS SEULEMENT]Ressources connexesBibliothèque du Parlement. Ressources parlementaires historiques canadiennes.Forget, Chloé, Marie-Ève Hudon, et Élise Hurtubise-Loranger. Les langues officielles et le Parlement, publication no 2015-131-F, Étude générale, Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement, 19 avril 2017.Auteures : Marie-Ève Hudon et Chloé Forget, Bibliothèque du Parlement

Des obligations constitutionnelles dans les législatures du Canada, du Québec, du Manitoba et des territoires

C’est à l’article 133 de la Constitution qu’a été inscrite l’obligation d’utiliser le français et l’anglais pour la rédaction des archives, des procès-verbaux et des journaux, de même que pour l’impression et la publication des lois. Cette disposition constitutionnelle a permis aussi l’usage, à titre facultatif, du français ou de l’anglais dans les débats parlementaires. Seuls le Parlement du Canada et la Législature du Québec s’en sont vu imposer les principes.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch. 3 (R.U.).

L’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba a, quant à lui, conféré au français et à l’anglais un statut obligatoire pour la rédaction des archives, des procès-verbaux et des journaux au sein de la Législature du Manitoba, et un statut facultatif dans les débats parlementaires. En 1979 et en 1985, la Cour suprême du Canada est venue confirmer l’obligation de cette province de rédiger, d’imprimer et de publier ses lois en français et en anglais.

Loi sur le Manitoba, 1870, 33 Vict., ch. 3 (Canada).
Procureur général du Manitoba c. Forest, [1979] 2 R.C.S. 1032.
Renvoi: Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721.

Dans les trois territoires, des « créatures » du Parlement fédéral, des obligations semblables ont été incluses à même les lois territoriales.

Loi sur les langues, LRY 2002, c 133.
Loi sur les langues officielles, LRTN-O 1988, c O-1.
Loi sur les langues officielles, LNun 2008, c 10.

Le droit de s’exprimer dans la langue de son choix

Tous les sénateurs et députés du Parlement du Canada sont libres d’employer l’anglais ou le français lors des débats du Sénat ou de la Chambre des communes. Les députés de la Législature du Québec bénéficient également de ce droit. L’interprétation simultanée a été introduite au Sénat et à la Chambre des communes en 1961 et 1959 respectivement, mais il est incertain si cette pratique bénéficie d’une protection constitutionnelle.

MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460.

La langue des archives, procès-verbaux et journaux

Les archives, procès-verbaux et journaux respectifs du Parlement du Canada et de la Législature du Québec doivent être rédigés intégralement en anglais et en français.

Blaikie c. Procureur général du Québec, [1978] C.S. 37.

La langue des lois

Les lois du Parlement du Canada et de la Législature du Québec doivent non seulement être imprimées et publiées en français et en anglais, mais aussi adoptées et sanctionnées dans les deux langues officielles. Cela signifie que le français et l’anglais doivent être utilisés simultanément pendant le processus d’adoption des lois. La législation déléguée, c’est-à-dire les règlements et les décrets de nature législative, est aussi visée par ces obligations.

Blaikie c. Procureur général du Québec, [1978] C.S. 37.
Proc. Gén. du Québec c. Blaikie et autres, [1979] 2 R.C.S. 1016.
Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1992] 1 R.C.S. 212.

Modifications à l’article 133

Conformément aux dispositions régissant les modifications à la Constitution du Canada, l’article 133 ne peut être modifié unilatéralement par le Parlement du Canada ou par la Législature du Québec et est indivisible de la Constitution du Canada et du Québec.

Proc. Gén. du Québec c. Blaikie et autres, [1979] 2 R.C.S. 1016, p. 1025.
Jones c. Procureur général du Nouveau-Brunswick, [1975] 2 R.C.S. 182.

La corédaction des lois fédérales

Depuis 1978, année où le ministère de la Justice a opté pour la corédaction des lois fédérales, celles-ci sont rédigées conformément à la méthode selon laquelle deux conseillers législatifs, l’un francophone et l’autre anglophone, rédigent simultanément les versions française et anglaise d’un texte législatif.

McLaren, Karine. « Bilinguisme législatif : regard sur l’interprétation et la rédaction des lois bilingues au Canada », 2014.



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